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16 décembre 2013 1 16 /12 /décembre /2013 16:54

LE MODÉRATEUR: Chers maîtres, pères et mères, dieux et déesses, anges et démons, personnages, figures et monstres mythiques, légendaires, littéraires ou historiques, bons, méchants et (surtout) autres, immortels par nature ou immortalisés par vos œuvres, celles que vous avez faites comme celles qui vous ont faits -- je voudrais sans nommer personne n'oublier personne, mais je n'y parviendrai pas ! -- merci du fond du cœur d'avoir si aimablement répondu à mon invitation. C'est d'autant plus chic de votre part que ne suis pas de votre monde, bien que -- comme tout le monde -- je l'habite.

Non content de me poser en convocateur, il me faut m'imposer en interprète, médiocre évidemment. Je vous connais et vous entends inégalement. Quelques-uns d'entre vous m'ont permis de leur devenir un peu familier, dans le meilleur et (j'espère sans trop d'impudence) dans le pire sens du mot. D'autres, plus nombreux, innombrables au vrai, sont tout au plus pour moi des noms associés à quelques sentences mal comprises ou, pis encore, à des "idées" probablement inexactes. Que ceux-là voient dans la distance, l'obscurité ou le silence relatifs ou absolus où je les tiens des marques de mon insuffisance et de mon respect -- en aucun cas d'un quelconque mépris: tous, je le sais bien, vous avez été importants, précieux, irremplaçables. Si jeune que soit par rapport à la vôtre ma vieillesse, elle a heureusement -- pour moi -- passé l'âge ingrat des choix et des rejets présomptueux.

Je vous ai appelés, vous vous en seriez doutés, au chevet de mon "époque"; parce que son état me paraissait grave, plus que critique, désespérée peut-être. Certes vous en avez vu d'autres, et votre présence à ses côtés suffirait à lui redonner des couleurs et à alléger la sévérité du diagnostic et du pronostic, sans même en modifier la teneur. Et alors ? semblez-vous déjà dire, sans avoir encore rien dit. Nos mondes, nos peuples, nos langues, nos villes, nos temples, nos écoles, nos livres aussi ont péri. Oubliés ou mécompris, nous ne nous en portons pas plus mal. De temps à autre une évocation, une convocation comme celle-ci nous amuse, nous distrait -- à peine -- de notre temps et de notre lieu, mais elle ne nous en éloigne pas et ne saurait nous en déposséder. "Mort: immortel", écrivait dans ta langue l'un des derniers arrivants parmi nous. C'est en mourant qu'on apprend l'immortalité, comme impossibilité ou indifférence de mourir. Seriez-vous les derniers à passer par là que votre sort ne serait ni pire ni meilleur que le nôtre. Quant à nous, n'avons-nous pas vécu en chacune de nos disparitions la disparition, sans lendemain, en dépit des lendemains qui ne seraient plus nôtres ? 

Reste que de là où je me trouve, j'éprouve le besoin de vous entendre et de vous faire parler, et pas seulement comme je viens de le faire, globalement et malgré vous -- de vous prier, s'il vous plaît et comme il vous plaira, de prendre tour à tour la parole. Loin de moi, je tiens à vous rassurer tout de suite sur ce point, l'intention de vous demander des comptes. Sans doute vous êtes bien pour quelque chose dans la situation (pour moi) "présente", mais cela ne diminue en rien notre responsabilité. J'espère de vous réflexion et conseil.

Parmi les nombreuses difficultés que j'envisage au seuil de ce colloque, la première est celle de vous nommer et de vous distinguer les uns des autres. Sur vous l'illusion de l'individualité (avec ce qu'elle présume d'indivisibilité, de continuité ou d'homogénéité "interne", et de séparation, de discontinuité et d'hétérogénéité "externe", en somme d'identité de "chacun" et de différence avec "les autres") n'a guère de prise. Je ne vous crois -- par conséquent -- pas trop sourcilleux sur les droits d'auteur et de propriété intellectuelle, mais je ferai de mon mieux. D'ailleurs je vois déjà au premier rang quelqu'un que je connais un peu demander la parole. Comment vous nommer: "Dieu", "le Dieu unique" ?

LE DIEU UNIQUE, souriant; quelques chuchotements et rires étouffés dans l'assemblée: Comme vous voudrez. On m'a assez reproché, non sans raison, d'avoir pris la place des autres pour que je me permette encore, et un peu plus modestement, de dire un mot en leur nom à tous. Ici, bien entendu, une fois n'est pas coutume, je parle sous leur contrôle: ils me corrigeront s'ils le jugent nécessaire, ce dont je ne doute guère.

C'est justement de cette place, que j'ai prise (un temps et aux yeux de quelques-uns, n'exagérons rien), que je voudrais parler. Cette place donc que j'ai prise, je ne l'ai pas inventée: c'est peut-être bien la seule chose que je n'ai jamais prétendu "créer" ! Comme l'ont tant répété certains de mes collègues athées ici présents -- et qui, soit dit en passant, ne doivent être beaucoup moins étonnés que moi d'être ici présents ! -- cette place, qui fut avant la mienne celle des dieux et des démons de toutes sortes, et des esprits et des ancêtres, cette place qui a été peu ou prou la nôtre à tous, c'est vous, les mortels, qui nous l'avez ménagée et assignée, en marge de votre "réalité", avant et après, au-dessus, au-dessous et ailleurs. Ailleurs, mais pas trop loin non plus. Pourquoi ? J'ai ma petite idée là-dessus. C'est surtout qu'il vous fallait un public. Pour vous juger peut-être, vous approuver ou vous désapprouver, vous récompenser ou vous punir, vous encourager ou vous décourager, mais en tout cas pour vous regarder et vous écouter. Être spectateurs et auditeurs, juges, bienfaiteurs et bourreaux les uns des autres ne vous a jamais suffi. Et si vous ne nous avez pas toujours voulus bienveillants ni justes, il est toujours allé de soi parmi vous que nous devions nous intéresser à vous. Le pauvre Job, qui est ici des nôtres, se souvient sans doute de la tête qu'il a faite le jour où j'ai tenté de lui suggérer que les préoccupations humaines étaient le cadet de mes soucis...

Or il me semble que c'est encore à ce titre que nous avons été aujourd'hui convoqués. Dites-moi si je me trompe: plus encore que de la "réflexion" ou des "conseils", certainement plus qu'une quelconque "intervention" à laquelle vous ne croyez pas vous-même, c'est notre sentiment de spectateurs que vous nous demandez sur le spectacle. Qu'il nous plaise ou nous répugne, qu'il nous comble de volupté ou nous mette en fureur, qu'il nous fasse rire ou pleurer, qu'il nous ennuie même à mourir, qu'il nous indiffère à la rigueur, mais que nous soyons quand même là pour y assister jusqu'à la fin.

Je joue le jeu, en ce qui me concerne. J'ai été parfois ému, presque enthousiaste (un mot qui ne me sied guère, ou qui me sied trop bien), indigné, furieux, dégoûté, indifférent. Mais le sentiment qui l'a emporté, c'est sans doute la pitié. Zarathoustra, que je salue -- Zarathoustra-le-Jeune, l'alter ego de l'ami Nietzsche, que je salue également, non pas Zoroastre l'Ancien qui m'a précédé et qui sait bien que je lui dois (presque) tout -- m'en a même fait mourir, de cette pitié pour l'homme, ou -- ce qui revient à peu près au même -- de la main de l'homme ne supportant plus ma pitié.

C'était bien vu, je dois le dire, mais encore optimiste: être spectateur et référent captif, unique de surcroît et compatissant, forcément compatissant, de toutes les tristesses, de toutes les angoisses, de toutes les hontes, de toutes les médiocrités et mesquineries humaines, il y avait de quoi en crever en effet, tout immortel qu'on me crût. Bien rares furent ceux qui eurent pitié de moi -- ce qui n'arrangeait rien, au contraire, mais c'était quand même une attention délicate de leur part.

Que faire ? Pour faire quelque chose il fallait d'autres noms et d'autres visages, à qui j'ai volontiers cédé la place -- comme je leur cède maintenant la parole, si le cœur leur en dit."

 

(A suivre... qui sait ?)

 

 

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14 décembre 2013 6 14 /12 /décembre /2013 14:20

Se voir refuser -- tel l'obstacle par le cheval ? -- le titre d'"humain" par un "humaniste" (qui plus est bardé de références "anti-humanistes", selon l'esprit du siècle passé: il y a aussi chez les privilégiés de l'échelle éducative un éclectisme de mal-comprenant), voilà une (autre ?) volupté de fin gourmet -- et pas "nouvelle cuisine" pour un sou.

Délicatesse des lynchages: en partance des visages, comme il doit être plus facile de les quitter laids, grimaçants, hurlants, hostiles, cruels, bornés, sarcastiques, amers ou revanchards, bouffis ou macérés de ressentiment, de justice et de bonne conscience, que doux, tendres et surtout intelligents !

Être (un) "être", "étrange" avec ça, avec ce que ça peut comporter d'"être ange et/ou bête" et d'"étranger", de "monstre" en somme (Claude François après Courteline, en passant par Pascal et Camus), plutôt qu'"humain", c'est... étrange sur le coup mais, à la réflexion, pas déplaisant. Pourquoi s'entêter, comme Diogène, à concourir dans la catégorie "homme", quel que soit le concours (qui reste avant et par-dessus tout de circonstances, comme vices et vertus de nécessité), si de plus vos présumés semblables ont la prévenance de vous en dispenser ?

J'aurais donc péché -- par excès de présomption, ou de modestie ? -- en acceptant d'être humain ? Il est vrai qu'en l'écrivant, avant de le dire, je n'en étais qu'à moitié convaincu.

D'ailleurs je crois me souvenir maintenant d'un certain contexte à cette souscription insuffisamment réfléchie. Tu disais, à peu près comme Simone Weil sans le savoir, que tu délaisserais volontiers l'amour de "Dieu" pour l'amour des "hommes"; et moi, contre la culture et l'esprit du temps, malgré toi surtout que j'aimais mais non sans "Dieu", avec "Dieu" contre "Dieu", je confessais, presque honteusement, l'inclination contraire. 

Aveu désavoué, à première vue, par mes (pré-)textes préférés; à première vue seulement:
ἐάν τις εἴπῃ ὅτι Ἀγαπῶ τὸν θεόν, καὶ τὸν ἀδελφὸν αὐτοῦ μισῇ, ψεύστης ἐστίν: γὰρ μὴ ἀγαπῶν τὸν ἀδελφὸν αὐτοῦ ὃν ἑώρακεν, τὸν θεὸν ὃν οὐχ ἑώρακεν οὐ δύναται ἀγαπᾶν. καὶ ταύτην τὴν ἐντολὴν ἔχομεν ἀπ' αὐτοῦ, ἵνα ἀγαπῶν τὸν θεὸν ἀγαπᾷ καὶ τὸν ἀδελφὸν αὐτοῦ.  Πᾶς πιστεύων ὅτι Ἰησοῦς ἐστιν Χριστὸς ἐκ τοῦ θεοῦ γεγέννηται, καὶ πᾶς ἀγαπῶν τὸν γεννήσαντα ἀγαπᾷ [καὶ] τὸν γεγεννημένον ἐξ αὐτοῦ. ἐν τούτῳ γινώσκομεν ὅτι ἀγαπῶμεν τὰ τέκνα τοῦ θεοῦ, ὅταν τὸν θεὸν ἀγαπῶμεν καὶ τὰς ἐντολὰς αὐτοῦ ποιῶμεν. αὕτη γάρ ἐστιν ἀγάπη τοῦ θεοῦ, ἵνα τὰς ἐντολὰς αὐτοῦ τηρῶμεν:  καὶ αἱ ἐντολαὶ αὐτοῦ βαρεῖαι οὐκ εἰσίν, ὅτι πᾶν τὸ γεγεννημένον ἐκ τοῦ θεοῦ νικᾷ τὸν κόσμον: καὶ αὕτη ἐστὶν νίκη νικήσασα τὸν κόσμον, πίστις ἡμῶν.
Si quelqu'un dit, "J'aime Dieu", mais qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère, qu'il a vu, ne peut aimer Dieu, qu'il n'a jamais vu. Or tel est le commandement que nous avons de lui: que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. Quiconque croit que Jésus est le Christ (ou que le Christ est Jésus) est engendré de Dieu, et quiconque aime celui qui engendre aime aussi celui qui est engendré de lui. A cela nous savons que nous aimons les enfants de Dieu, quand nous aimons Dieu et que nous observons (litt. faisonsses commandements; car tel est l'amour de Dieu, que nous gardions ses commandements; et ses commandements ne sont pas pesants, car tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde; et voici la victoire qui a vaincu le monde -- notre foi. (Première épître de saint Jean iv, 20--v, 4).
Le petit côté "chantage" de cette rhétorique n'échappera à personne: qui, croyant "aimer Dieu", ne s'est senti par elle accusé, de mensonge, pour ne pas (assez) aimer ses "frères" ? Preuve, soit dit en passant, que l'amour mutuel -- c'est de celui-là qu'il est question, non de l'amour du "prochain" quel qu'il soit ou de l'"homme" en général, encore moins du "monde" -- n'allait pas de soi comme il aurait dans la société des "engendrés-du-Dieu-amour". Cependant, seule une non-lecture ("humaniste" ou "philanthropique", par exemple) d'un tel texte pourra croire s'y appuyer pour promouvoir un "amour des hommes" qui se passerait, avantageusement de surcroît, de "l'amour de Dieu". Même dans les évangiles synoptiques qui ordonnent -- par ce que j'ai quelquefois appelé un attentat contre l'amour -- "l'amour du prochain" sans discrimination, ou de préférence (par ce qu'on appellerait aujourd'hui, non sans condescendance perverse, "discrimination positive" ?) "des ennemis", la subordination de cet amour à l'amour de Dieu est maintenue, et essentielle. Les deux "plus grands commandements" ont beau être dits semblables, il y a un premier et un second. Et c'est d'ailleurs de l'indiscrimination divine (qui fait lever son soleil sur les bons et les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes) qu'est dérivé, contre tout sens commun de l'amour, le principe d'indiscrimination de l'amour du prochain, ennemis compris sinon préférés.

Converso con el hombre que siempre va conmigo
-- quien habla solo espera hablar a Dios un día --
mi solilioquio es plática con este buen amigo

que me enseño el secreto de la filantropía.
(Je converse avec l'homme qui toujours m'accompagne
-- qui parle seul espère parler à Dieu un jour --
mon soliloque est un entretien avec ce bon ami
qui m'a appris le secret de la philanthropie.
A. Machado, Retrato)

Plus haïssable que le "moi", sans "Dieu", sans la foi ou du moins l'espérance de "Dieu", "l'amour-du-prochain-comme-soi-même".
Quel "petit d'homme", accédant tant soit peu, par le langage, la représentation, le signe graphique, grammatical ou mathématique, à ce "lieu", point, plan ou espace inconditionné, d'abstraction et d'objectivité où "irréalité subjective" et "réalité objective" semblent si parfaitement coïncider, comme "rien" et "tout" respectivement ("irréel", forcément, le point de vue d'où tout "réel", "idéal" compris, apparaît comme tel), ne jetterait pas de là un regard étonné, voire effaré, sur sa "condition" présente, ou plutôt (à cet ac-cès) précédente, pré-cédante ? Qu'une telle position soit "illusoire" ou non ne change rien à l'affaire, tant que l'illusion opère: de là, être, être quelque chose ou quelqu'un, humain homme ou femme, enfant garçon ou fille, nom, prénom, âge et visage, cerveau ou corps, mais aussi bien ange ou bête, arbre ou pierre, nuage ou étoile, a quelque chose, quelque chose précisément, de plus, de trop, de superflu, de contingent, de fortuit, de gratuit, d'accessoire et d'accidentel, de saugrenu, de dérisoire et de risible. "Esprit" par nature ingrat envers toute nature, traître non seulement au monde en général, mais spécifiquement à l'espèce et au genre, au générique et à la génération, à la race, au Geschlecht; (ut deus) non est in genere, Tout petit je n'en revenais pas, dans la "ficelle" de la Croix-Rousse, de tous ces mammifères habillés et assis, lisant, parlant, pensant -- et d'en être ("Je m'étonnais surtout / d'être de ce troupeau", etc.). Une farce assurément, drôle, très drôle, trop drôle dans un sens, quoique pas drôle du tout par moments. Ensuite seulement l'on s'étonne, à constater que les autres ne semblent pas s'en étonner, de cet étonnement même, de ce qu'il recèle d'anormal, de pathologique ou de symptomatique, et d'incurable du fait même de son indéniable vérité. En-deçà de tout jugement (de qui, de quoi ?) sur l'humain, l'étonnement de "l'humain" en soi, ou de soi dans l'humain et par l'humain dans le monde. Etonnement d'être-là (da-sein), encore et pour longtemps sans Heidegger.

Partant de là, sans pouvoir d'ailleurs en partir, la voie théo-logique, promesse douteuse de réconciliation entre l'arbitraire du dieu et l'évidence du verbe, s'imposait malgré toutes les improbabilités circonstancielles. Une impasse bien sûr. Mais la quitter -- pour quoi, ou plutôt pour qui

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12 décembre 2013 4 12 /12 /décembre /2013 20:32

Difficile à croire, quand vous y êtes depuis toujours -- de père, ou de mère, en fils ou en fille peut-être, encore que différemment -- supplicié et tortionnaire, rarement l'un sans l'autre, que d'aucuns ne connaîtront jamais, ne soupçonneront même pas l'enfer, aussi cruellement raffiné que parfaitement gratuit, des sentimentaux.

Un mot d'abandon, un geste de rejet, un regard indifférent, un bâillement d'ennui suffit non seulement à ouvrir sous vos pieds un abîme de détresse, que votre pitoyable et agaçante insistance se chargera ensuite d'élargir et de creuser, mais encore à vous enchaîner définitivement à celui ou celle qui vous fera le plus sûrement et le plus efficacement souffrir, en toute innocence souvent. Pas d'issue ni de répit désormais, hormis dans une anesthésie dure et glacée -- le rideau du regard -- qui vous est encore plus intenable et où, de fait, vous ne tenez pas longtemps.

Que ne donneriez-vous pas, de là, pour un peu de légèreté, d'insouciance, de superficialité, de désinvolture, voire d'insensibilité, de détachement ou de désintéressement non feints ! Hélas ! c'est bien là ce qui vous est le plus inconcevable.

Vous êtes égocentriques, certes; plût au ciel que vous fussiez plus simplement, plus sainement égoïstes, que vous sussiez jouir de votre indépendance, sans (vous) lier profondément (à) quiconque !

Et avec ça les pires réprouvés de la taxonomie psychologique contemporaine, qui entre le jeu de la flexibilité sociale et affective et le hors-jeu de la solitude et de l'oubli ne tolère pas l'ombre d'une transgression -- pervers vous êtes à ses yeux, monstres incurablement, tantôt cachés, tantôt montrés, d'autant qu'elle craint de se reconnaître en vous et de s'aouer que votre perversion même fait la matière, la règle et la mise de son jeu.

 

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11 décembre 2013 3 11 /12 /décembre /2013 19:31

Ceci, naturellement, me rappelle cela.

Si l'on veut croire, ou jouer à croire, ou seulement tenter de comprendre une croyance, il faut se placer au bon endroit; je veux dire dans la situation, dans la "perspective", au "point de vue" où la foi est possible et la croyance crédible. Ne serait-ce que (c'est peut-être en effet le seul accès qui reste ouvert aux "modernes", croyants inclus malgré qu'ils en aient) dans le cadre strictement balisé d'un "contrat de lecture" (contractuel donc, c'est-à-dire para-, méta- ou simili-juridique, par "métaphore" du droit privé) qui suppose de la part du lecteur une "trêve d'incrédulité", suspension of disbelief, si brève et circonscrite soit-elle. On peut alors conserver toutes ses réserves, ne jamais cesser de relativiser, se rappeler si souvent qu'on voudra que ce lieu est un lieu parmi (beaucoup) d'autres et qu'il est loisible de le quitter à tout instant pour n'importe quel autre d'où il sera impossible de croire (on n'aura que l'embarras du choix, l'éternel embarras du consommateur).

Mais, pendant qu'on y est,  et si peu qu'on s'y tienne, on n'en fera pas moins l'expérience que où la croyance est possible elle n'est pas seulement possible, plausible, vraisemblable, mais évidente, indéniable, indiscutable -- à tel point que de là, en effet, croire équivaut pratiquement à voir ou à savoir. Il faudrait être "bouché", ou "de mauvaise foi", pour y échapper. (Lu un peu plus tard quelques pages saisissantes de Michaux sur l'éidence de la foi aux visions et autres perceptions dans l'expérience de la mescaline, dans L'infini turbulent.)

Ce lieu est celui d'une certaine configuration intertextuelle (au sens "propre" ou "figuré" pour ceux qui tiennent à cette différence); c'est une constellation anthologique qu'il détermine et qui le détermine. Il n'y en a peut-être pas de meilleure illustration, au sens propre, que le Christ, le Messie chrétien tel qu'il apparaît, notamment, dans et par l'oratorio éponyme de Haendel. Parmi les "unités textuelles" qui composent le livret, celles qui sont tirées de "l'Ancien Testament" n'excèdent jamais quelques phrases consécutives, tout à fait "hors contexte original" -- j'entends par là non seulement le "livre", mais le "chapitre", poème, récit, épisode dont elles sont extraites dans "l'Ancien Testament", sans préjudice des décontextualisations, recontextualisations et autres modifications successives qu'elles ont déjà subies pour arriver là. Si ces "morceaux choisis" sont arrachés à ce "contexte", ils en sont aussi dégagés, libérés pour jouer et composer ensemble dans un autre contexte une figure nouvelle et unique. Ce qu'ils font à merveille.

(Morceaux) "choisis", par qui ?-- en l'occurrence par le librettiste Charles Jennens, si l'on veut, mais bien davantage par une longue tradition de citations qui remonte au moyen-âge, aux Pères latins et grecs, au Nouveau Testament, et aux florilèges proto-chrétiens et juifs qui l'ont précédé. Toujours de l'anthologie, jamais tout à fait la même ni tout à fait une autre, se transformant au gré des changements de langues, de traductions, des trouvailles exégétiques ou homilétiques, et des effets de mode théologiques ou esthétiques, qui en excluent certains éléments et en agrègent d'autres, mais tendant malgré tout à l'enrichissement plus qu'à l'appauvrisement: dans l'ensemble, les listes de "prophéties messianiques" sont aujourd'hui plus fournies qu'elles ne le sont dans les citations et allusions du Nouveau Testament grec, notamment parce que la Septante, qui en avait "créé" certaines de toutes pièces, p. ex. Isaïe vii, 14, en bloquait d'autres, p. ex. ix, 5s).

C'est le moment, et le lieu (quand, où ne l'est-ce pas ?) de repenser au Coup de dés, celui qui jamais n'abolira le hasard, et n'est pas plus garanti qu'un autre contre les effets dé-contextualisants et dé-structeurs de la citation: rien n'aura eu lieu que le lieu / excepté peut-être une constellation.

Ce n'est pas seulement le refus de croire, ou de voir, qui fait quitter le "cercle magique" entourant le lieu où il y a lieu de croire et d'où il y a constellation à voir: le désir de savoir ou de prouver (notamment en réponse, apologétique, au refus de croire) a sensiblement le même effet. "Retourner aux sources", aux textes et aux contextes, à leurs langues "originales", à une vérité latine, grecque ou hébraïque, c'est voir se décomposer et finalement s'évanouir l'icône holographique qui dépend du lieu de contemplation auquel elle assigne son fidèle.

Qu'on puisse malgré tout s'être tenu là, et s'y tenir à nouveau si peu que ce soit, moins naïf, moins "bon public" sans doute, mais non point tout à fait incapable d'émerveillement, gagnant peut-être en profondeur nostalgique ce qu'on a perdu en fraîcheur de conviction, ce retour ressemble à celui  des saisons, jamais identique, retour quand même. Ça revient, ça rejoue, ça repasse, dès lors qu'on y revient.

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10 décembre 2013 2 10 /12 /décembre /2013 22:32

L'âge, ce n'est pas un scoop, ralentit, les corps et les esprits s'il y a lieu, tandis que tout autour paraît s'accélérer: années, saisons, mois, semaines, jours, heures jadis interminables, où l'on se sentait si souvent égaré ou prisonnier, désespérant de jamais en sortir; quand ni les temps ni les états ne semblaient vouloir passer, parce qu'on était trop vif, trop agité ou trop pressé pour eux. Maintenant l'apparemment immobile s'anime. Les montagnes enfin dansent comme les nuages, et les nuages comme les vagues.

L'impermanence naguère redoutée et cependant désirée, crue et jamais tout à fait sue, sue et jamais tout à fait crue, la voilà maintenant, vue, entendue, touchée, goûtée, sentie; elle s'est faite chair, elle aussi, évidence sensible et sensuelle, rendant merveilleusement désuètes, tout en les justifiant après coup, toute angoisse et toute impatience, toute foi et toute spéculation à son sujet. C'est volontiers désormais qu'on s'y abandonne, et avec soi ce qu'on avait imaginé garder ou gagner; ou bien qu'on l'accueille, retrouvant avec elle ce qu'on avait cru perdre.

Bord à bord, l'allure de l'abordage. Une fenêtre à ne pas manquer, peut-être, dans quelque sens qu'on envisage la défenestration (ou l'infenestration, y compris le retour par la fenêtre de ce qu'on s'était figuré chasser par la porte). Un peu plus tard tout semblerait aller beaucoup trop vite; transi, glacé, pétrifié, fossilisé, on se mettrait encore à trembler, intérieurement, de la dislocation.

http://oudenologia.over-blog.com/article-article-sans-titre-121338361.html

http://oudenologia.over-blog.com/article-cueillette-matinale-119888125.html

D'une "métaphore" horizontale, latérale, l'autre, verticale: entre veille et songe, entre les mondes des vivants et des morts, le pas, la marche, le seuil se fait moins vertigineux. Presque de plain-pied. La volonté même n'y semble plus interdite (d'autant sans doute qu'elle ne prétend plus guère à se distinguer de l'involontaire), comme elle l'était jadis dans un sens par le mur de l'insomnie ou la chute dans le sommeil par épuisement, dans l'autre par la clôture du rêve, spécialement dans son espèce infernale ou cauchemardesque. De rencontrer les morts et autres disparus, on s'étonne à peine, et les souvenirs rêvés se mêlent naturellement aux expériences du jour. Les frontières s'effondrant, ou s'atténuant, l'horizon de la réalité dé-vastée s'élargit, et s'approfondit. Accomplis, dépassés, par l'illimitation aussi irrésisitible que peu spectaculaire de l'ordinaire, le sur-naturel et le sur-réel. Le temps doucement, imperceptiblement rassemble ce qu'il a dispersé. Ce n'est ni exaltant ni désagréable. Sans terreur, sans rancune et sans rage, on sera bel et bien, on est déjà de plus en plus, réuni à ses pères.

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9 décembre 2013 1 09 /12 /décembre /2013 13:44

mdr

Entre savoir et immortalité, le rire des dieux -- inextinguible selon Homère; dont ils seraient pourtant morts, selon Nietzsche ou plutôt Zarathoustra, en apprenant que l'un des leurs se proclamait seul dieu ! -- participe peut-être de l'un et de l'autre (du savoir et de l'immortalité); comme celui-là nous l'avons (ap-)pris, tant bien que mal, et nous n'avons pas fini de l'apprendre; comme celle-ci il n'en finit pas de nous échapper et de se rire de nous.

Quoi de plus important, quoi de plus sérieux que le point (fût-il marqué d'une peau de banane) où l'importance et le sérieux même dérapent, perdent l'équilibre, basculent et se retournent cul par-dessus tête ?

Rire systématiquement trahi, renié, désavoué, par l'embarras de ceux qui pourtant l'ont aimé et lui doivent le plus, dès lors qu'ils sont devenus scribes, biographes et hagiographes -- celui d'Homère et même de Socrate par Platon, celui de Diogène par les stoïciens, celui de Qohéleth par lui-même ou par ses "éditeurs" (ii, 1s; cf. iii, 4; vii, 3.6; x, 19), celui de "Jésus" peut-être par les évangélistes. C'est à peine si la Bible laisse encore son dieu rire, d'un rire souverain et un tantinet cruel (Psaumes ii, 4; xxxvii, 13; lix, 8; Sagesse iv, 18; la Sagesse a d'ailleurs le même rire, Proverbes i, 26) auquel ses fidèles hésiteraient aujourd'hui à se joindre, par une honte de la joie mauvaise (Schadenfreude) qui n'étouffait visiblement pas leurs ancêtres présumés (Psaume lii, 6; Job xxii,19). L'évangile chrétien fait nettement moins rire ses destinataires que la promesse (l'épangile) d'Isaac (= "Rire"), dont saint Paul cependant le rapproche, avait fait rire Abraham et Sara (Genèse xvii,17; xviii, 12ss; xxi, 6ss; sans oublier la connotation sexuelle, érotique et ludique, du verbe en xxvi,8s). Le salut peut-être fera rire (Psaume cxxvi, 2; Luc vi, 21); malheureusement ce rire anticipé se retourne aussitôt en malédiction du rire présent (Luc vi,, 25).

Ce n'est pas le moins comique, d'ailleurs, que l'humour "biblique" échappe à nombre de lecteurs assidus de la Bible, même là où il n'est guère dissimulé (de la sagesse plaisante des récits "yahvistes" de l'Eden ou de Babel à l'ironie initiatique de l'évangile selon saint Jean, en passant par les péripéties burlesques des Juges ou de David, le pittoresque de certains Proverbes, les sarcasmes des prophètes envers les "idolâtres" -- le Daniel grec rit beaucoup dans l'épisode de Bel et du dragon, xiv, 7.19 -- ou la farce parodique de l'anti-prophète Jonas).  

Sans doute on ne rit pas toujours et partout des mêmes choses. Ni de la même manière. Il y a place dans le rire aussi pour la diversité et l'évolution culturelles et individuelles; questions de goût, de jugement et d'éducation. Il y aurait lieu de discerner les rires comme on discerne, paraît-il, les esprits, A passer en revue les textes bibliques sur ce thème, je remarque que le Siracide y accorde une certaine attention, qui va (selon l'esprit de son temps) dans le sens de la modération, préférant le sourire au rire:

xix, 30 stolismoV androV kai gelwV odontwn kai bhmata anqrwpou anaggelei ta peri autou, l'habit d'un homme, son rire (litt. le rire des dents, peut-être comme le rire révèle les dents), sa démarche annonce ce qu'il est.

xxi, 20: mwroV en gelwti anuyoi jwnhn autou anhr de panourgoV moliV hsuch meidiasei; le stupide rit aux éclats, l'homme prudent sourit en silence

Sinistre Siracide: rire avec l'enfant (entre autres façons de le "gâter", v. 7ss), c'est se préparer à grincer des dents à son sujet (xxx, 10).

C'est drôle, comme on dit. Je n'ai guère été comique qu'involontairement (et sans doute d'autant plus que je me montrais sombre), mais j'ai toujours adoré rire, et je n'ai guère cessé d'être admiratif et reconnaissant envers ceux qui m'ont fait rire. Au cinéma notamment, et dans des genres très différents: Chaplin, Keaton, les frères Marx, René Clair, Lubitsch, Wilder, Fellini. Je n'ai peut-être commencé ce billet que parce que je viens de rire (entre autres), en (re-)voyant à quelques jours d'intervalle des films très différents, très partiellement comiques d'ailleurs, et d'un humour de nature tout aussi différente, mais toujours loufoque, subversif et libérateur: El ángel exterminador, de Buñuel (1962), dont je ne me lasse pas, Tenue de soirée, de Bertrand Blier (1986), Prénom Carmen, de Jean-Luc Godard (1983), Le départ, de Skolimowski (1967).

 

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8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 22:15

Il y a souvent de la part du théologien "libéral", du critique, du sceptique, de l'agnostique ou de l'athée une attitude quelque peu "supérieure" ou "condescendante" à l'égard de ce qui se présente comme un argument apologétique ou défensif... comme si "l'apologiste" tentait de se rassurer à tout prix; comme si c'était là un signe de faiblesse, voire de lâcheté; comme si le "libéral" (etc.) ne faisait pas exactement la même chose, non seulement en confortant sa propre position ("libérale", etc.) ainsi que le fait l'apologiste, mais encore, comme n'importe quel "croyant", en se rassurant lui-même dans une croyance plus profonde, plus diffuse mais aussi positive, à savoir que -- avec ou sans livre infaillible, inspiré ou divin, avec ou sans "vérité" définie, avec ou sans "Dieu" personnel -- toutes choses sont comme elles doivent être, tout va et ira pour le mieux. De ce point de vue, il me semble que nous sommes tous "croyants", et "apologistes" -- jusqu'à l'aveuglement et à la mauvaise foi s'il le faut.

Conclusion irénique, pondératrice et relativisante -- presque une formule de politesse -- jetée hâtivement, de manière plus intuitive que réfléchie, et non sans un certain enthousiasme suspect, au terme d'un assez long courrier envoyé ce jour à un ami américain (en réponse à une défense, d'ailleurs intelligente et modérée, de l'inspiration divine de la Bible, que du reste je n'avais nullement le sentiment d'avoir "attaquée"). Je la traduis ici (en plus d'un sens du verbe) pour l'interroger, sinon la juger (écrire d'abord, lire ensuite, réfléchir après: la pire des méthodes à l'exception de toutes les autres, pour parodier à la fois Pierre Dac et Winston Churchill, qui durent d'ailleurs se croiser déjà à la BBC).

On lui objectera aussitôt tous les pessimismes, les volontarismes, les militantismes sincères ou affectés, et les angoisses, les dépressions, les révoltes, les suicides, bref, ce qui clame que tout ne va décidément pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce serait oublier que par de tels engagements, postures, états ou gestes chacun fait précisément ce qu'à ses yeux il faut -- ce qu'à ses yeux il manque -- pour corriger les défauts, boucher les trous, combler les lacunes, colmater les brèches, rétablir et finalement assurer l'équilibre compromis, ne serait-ce qu'en compensant le désordre présumé des choses par l'ordre (autrement présumé) des signes. Dire le mal, dire la vérité sur le mal, c'est déjà bien  On se souviendra de la photologie deutéro-paulinienne, lumière triomphant des ténèbres en transformant les ténèbres en lumière, par... la censure, plus dénonciatrice que répressive il est vrai (épître aux Ephésiens, v, 11-14). L'indignation, la réprobation, la contestation, la polémique, avec la démarcation qu'elles impliquent, voilà le chemin le plus court, le plus facile et le plus sûr -- peut-être, hélas ! le seul -- vers la bonne conscience du juste. Par ses réquisitoires, ses récriminations, ses vaticinations, sa mauvaise humeur ou ses ricanements -- mais aussi quelquefois, plus gravement, par sa folie ou sa mort tout un chacun sauve le monde à sa manière, ridicule, tragique ou insignifiante (ou tout cela à la fois). Comme le disait à peu près Cioran, jusque dans le suicide il y a un optimisme déraisonnable. Autrement dit une foi, qu'on défendra s'il le faut à n'importe quel prix, à laquelle on sacrifiera tout (la preuve, par le martyre précisément, dût-on se l'infliger soi-même). Personne ne semble consentir à la perdition générale sans quelque espoir, si secret ou retors soit-il, de rédemption ou de rétablissement -- fût-ce sous les formes les plus vertigineuses ou les plus absurdes, renversement, sublimation ou transfiguration du néant, toujours possible grâce à la réitérabilité infinie de la négation. (Note à l'intention de ceux qui croiraient trouver là une pensée tant soit peu "originale": Nietzsche d'une part, Lacan de l'autre, ont à peu près tout dit là-dessus.)

Difficile, de ce point de vue, de dénier à une religion de la foi (fides qua creditur), peu importe d'ailleurs ce qu'elle croit (fides quae creditur) ou croit croire (crôa crôa écrivait Prévert, encore que la croix ne soit pas en français un homonyme anodin) d'avoir visé sinon vu juste sur l'essentiel. Ou, si l'on préfère renverser l'illusion perspectiviste (sans la rendre moins illusoire pour autant), force est de lui concéder qu'elle nous a bien eus et que nous ne sommes pas près d'en sortir. Heureusement que les croyants succombent de temps à autre à la tentation apologétique (le baiser de Judas de la sottise, selon Kierkegaard) et se croient obligés de défendre ce qu'ils croient, sans quoi on n'y trouverait vraiment rien à redire.

 

 

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7 décembre 2013 6 07 /12 /décembre /2013 16:01

                                               du possible

                               espérer

                          ou attendre

                                               l'impossible

                                                                       comme un débouché

                                                                       comme une éclaircie

                                                                       comme une éruption

                                                                       comme une évasion

                                                                       comme un estuaire

                                                                       comme une extase 

                                                                       comme un départ

                                                                       comme un adieu

                                                          ou bien                               -- question de genre --

                                                                        comme un salut

                                                                        comme un retour

                                                                        comme une arrivée

                                                                        comme une irruption

                                                                        comme une invasion

                                                                        comme un avènement

                                                                        comme un événement

                                                                        comme une insurrection

                   sans              sottement

                             le croire            possible

                   sans              raisonnablement

                             cesser

                             de l'attendre

                         ni de l'espérer

 

Que de désir, que de désirs, d'aspirations, de soupirs, de gémissements, de cris, d'inclinations, de tensions, de propensions, d'inerties et d'élans, de forces et de mouvements élémentaires, organiques, végétaux, animaux, masculins, féminins, homotropes, homéotropes, hétérotropes, divergents, parallèles, convergents, antagonistes, contradictoires ou complémentaires, s'ignorant, s'affrontant, se heurtant ou se c(o-i)mpliquant les uns les autres, cent mille mains du désir pour façonner le visage sans visage de l'espéré contre toute espérance, de l'attendu contre toute attente, l'image sans image, humaine cependant non moins que monstrueuse, du dieu-qui-vient. Désirs de vie et de mort, de plénitude et de vide, de richesse et de dépouillement, de gloire et d'humiliation, de lumière et d'obscurité, de hauteur et de profondeur, d'action et de passion, de violence et de paix, de feu et d'eau fraîche, de jouissance et de souffrance, d'ivresse et de soif, de satiété et de faim, de justice et de grâce, de revanche et d'oubli, d'achèvement et de renouveau. 

 

                       

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6 décembre 2013 5 06 /12 /décembre /2013 20:56

טוֹב יֶלֶד מִסְכֵּן וְחָכָם מִמֶּלֶךְ זָקֵן וּכְסִיל אֲשֶׁר לא-יָדַע לְהִזָּהֵר עוֹדכִּי-מִבֵּית הָסוּרִים יָצָא לִמְלךְ כִּי גַּם בְּמַלְכוּתוֹ נוֹלַד רָשׁ

Je dois à "Nelson Mandela" (les guillemets rappelant qu'il me parvient comme un nom, dans le texte des "actualités" et de l'"histoire", et dans la légende de ses illustrations) le seul événement politique heureux, exaltant même, que j'aie pu lire, sur le moment, comme un signe positif de "Dieu" dans l'histoire contemporaine (corollaire de cette interprétation: mon "Dieu" alors était encore susceptible, sinon de s'intéresser à l'histoire, au moins de s'y manifester, fût-ce de manière exceptionnelle): j'étais arrivé bien trop tard pour "Gandhi", et les autres très-grands-hommes-politiques potentiels du siècle (passé) avaient été plutôt tragiques, décevants ou monstrueux dans le triomphe quand ils n'avaient pas fini martyrs (ce qui est d'ailleurs aussi le cas de "Gandhi", mais après l'indépendance de l'Inde); quant aux grands-événements anonymes, sans nom ni visage directement associé par excès de noms et de visages (mai 68 ou la chute du mur de Berlin), ils s'étaient révélés aussitôt trop ambigus pour que l'enthousiasme ne tourne pas instantanément ou presque à la consternation.

Il m'avait rappelé immédiatement, comme à d'autres lecteurs de la Bible sans doute, ce passage d'ailleurs passablement obscur de Qohéleth (iv, 13s) qu'on peut traduire à peu près ainsi: Mieux vaut un enfant pauvre et sage qu'un roi vieux et stupide, qui ne sait plus prendre conseil (ou se laisser éclairer, zhr).  Car celui-là sortira de prison pour régner, quoique dans son propre royaume il soit né pauvre.

Une vie réussie, selon une rare unanimité politico-médiatique que l'excentricité des exceptions confirme, celle qui contrairement à tous les usages du milieu a passé la force de l'âge, l'âge du pouvoir, en prison, à l'écart de toute "responsabilité", de toute "décision" et de toute "communication" ou peu s'en faut. Qui a accepté de son vivant le destin si vital dans un sens, si anti-vital dans un autre, du "symbole" ou du "mythe" et qui a su ensuite continuer de le servir en s'en servant -- plutôt bien, et plutôt modestement ce me semble, à distance médiatique évidemment.

Sans que je sache très bien pourquoi, les versets sus-cités s'associent dans ma tête à un autre passage de Qohéleth (ix, 13s):

גַּם-זה רָאִיתִי חָכְמָה תַּחַת הַשָּׁמֶשׁ וּגְדוֹלָה הִיא אֵלָי עִיר קְטַנָּה וַאֲנָשִׁים בָּהּ מְעָט וּבָא-אֵלֶיהָ מֶלֶךְ גָּדוֹל וְסָבַב אתָהּ וּבָנָה עָלֶיהָ מְצוֹדִים גְּדלִים וּמָצָא בָהּ אִישׁ מִסְכֵּן חָכָם וּמִלַּט-הוּא אֶת-הָעִיר בְּחָכְמָתוֹ וְאָדָם לא זָכַר אֶת-הָאִישׁ הַמִּסְכֵּן הַהוּא וְאָמַרְתִּי אָנִי טוֹבָה חָכְמָה מִגְּבוּרָה וְחָכְמַת הַמִּסְכֵּן בְּזוּיָה וּדְבָרָיו אֵינָם נִשְׁמָעִים

Voici une (un cas de) sagesse que j'ai vue sous le soleil, et grande (remarquable) pour moi: une ville petite, avec peu d'hommes en elle; un grand roi l'attaqua et l'assiégea, en construisant contre elle de grands ouvrages de siège; et il se trouva en elle un homme, pauvre et sage, qui sauva la ville par sa sagesse, et personne ne se souvient de cet homme pauvre (autre traduction, autre scénario un peu moins probable, mais intéressant tout de même: qui aurait pu sauver la ville... mais personne ne s'est souvenu...). Et j'ai dit: mieux vaut la sagesse que la vaillance; mais la sagesse du pauvre est méprisée, et ses paroles ne sont pas écoutées.

L'un et l'autre déterminent, peut-être, la place que se concèdent réciproquement dans l'histoire et la géographie l'ordinaire et l'extraordinaire, la règle et l'exception, la sottise meurtrière et l'intelligence (rarement, très rarement, mais quelquefois) salvatrice.

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3 décembre 2013 2 03 /12 /décembre /2013 18:52

Si l'n (le n, la haine ?) de la négation et de la dénégation, du non, du ne (pas, que, guère, plus, jamais, rien, personne) est le premier outil artisanal -- destructeur, créateur, transformateur, mais aussi révélateur, tel le marteau nietzschéen -- de la langue, le t de la "deuxième personne", tu, te, toi, en est la baguette magique, l'enchanteur inépuisable -- me fit remarquer ce matin le vieux charme que je venais d'embrasser (non sans repenser, l'instant d'après, à l'anecdote fameuse quoique peut-être inauthentique concernant Paul Tillich: the damned pantheist worshipping the flowers).

Cela me conduisit ensuite à observer que l'ordre traditionnel des "personnes" de la conjugaison est l'inverse de celles de la Sainte Trinité -- ordre que la distinction dogmatique entre trinité "ontologique" et "économique" ne change pas, pour autant que la description s'en veut toujours objective (Dieu sait de quel point de vue): dans une Trinité subjective, "vue de l'intérieur", à l'Esprit correspondrait plutôt l'intimité première, immédiate, du "je" et du "nous", au Fils la position à la fois proche et opposée du vis-à-vis, de l'icône ou de l'interlocuteur, interpellant et interpellé, au Père enfin l'éloignement de l'horizon ultime, originel et final, hors dialogue sinon tout à fait hors parole et hors texte. Etrangement, la prière chrétienne s'adresse d'ordinaire au Père (deuxième personne grammaticale), éventuellement au nom du Fils (ce qui, dans une interprétation de la formule au moins, revient à situer celui-ci au lieu de la première personne, au nom de qui "on" parle), pour demander quelquefois l'Esprit (à la troisième personne du tiers, voire du complément d'objet). Il est vrai qu'elle remonte plus loin que les spéculations trinitaires (et a fortiori anti-trinitaires), où l'Esprit s'était déjà fort éloigné de l'originarité qui le faisait à la fois "divin" et "humain" dans les théologies gnostiques ou charismatiques du IIe siècle, pour devenir un "bien" (sinon une marchandise) soumis à l'autorité de l'administration ecclésiastique des sacrements.

[Il me faut peut-être rappeler ici cette remarque que j'ai souvent faite, dans des contextes plus "sérieux", sur le caractère "transpersonnel" de la première et de la deuxième personne en général, et dans la prière en particulier. Là où il y a un "je" et un "tu", qui assignent en principe un locuteur et un interlocuteur irremplaçables aux postes respectifs de leurs identités dans le vis-à-vis, les places sont aussitôt ouvertes à la substitution infinie. Tous les amoureux changent spontanément les prénoms de Tristan et Isolde ou de Roméo et Juliette. Le plus propre est le lieu par excellence de l'ex-ap-propriation. Dans les psaumes les plus anciens, le même tu s'est adressé tour à tour (ou simultanément) à Baal ou à Aton, puis à un Yahvé secondaire ou suprême, puis à un Dieu unique dont "l'idée" continuait de varier en fonction des locuteurs, du je ou du nous qui changeait aussi: ici plus "personnel", là plus "philosophique", "juif" ou "chrétien", "catholique" ou "protestant", etc.). Le tout sans que le texte change, ou si peu.]

Je n'en garde pas moins une profonde tendresse pour le Notre Père, prière modeste sinon modèle, la seule qui précède dans ma mémoire d'enfance l'ensemble de mes aventures religieuses et théologiques "personnelles". Pas de Fils ni d'Esprit là-dedans; un seul destinataire à la deuxième personne du singulier (malgré le vouvoiement français qui était encore de mise il y a un demi-siècle et ne lui messeyait pas), pour un locuteur communautaire à la première personne du pluriel (nous); à la fois intime (notre Père) et lointain (qui es aux cieux), l'invoqué, humblement invité à occuper, à posséder, à dominer, à maîtriser à l'avenir l'espace possible et pensable de tout "sujet" (que ton nom soit sanctifié / que ton règne arrive / que ta volonté soit faite -- comme au ciel, aussi sur la terre, cela ne le cède en rien, question "panenthéisme" eschatologique, aux formules stoïco-pauliniennes comme Dieu tout en tous). Modeste cependant, d'ici là, la place que s'assignent ensemble les orants en demandant leur pain quotidien, fût-ce celui du lendemain, la remise de leurs dettes ou la rémission de leurs offenses, étant entendu qu'ils remettent aussi quand ils se trouvent eux-mêmes en position de créanciers ou d'offensés (renonciation au droit), la dispense de l'épreuve-tentation (tout le contraire d'un héroïsme "spirituel" en quête de purification initiatique par le feu), la délivrance du mal (ou du Malin, du mauvais sans ou avec majuscule) enfin. Force est de reconnaître que la doxologie traditionnelle, monarchique (car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire, aux siècles des siècles), pour être surajoutée, n'y détonne pas. Prière plus "juive" que "chrétienne", comme l'atteste sa ressemblance avec le Qaddish rabbinique, prière laïque au sens vrai, qui ne nie pas le sacré ni ne cherche à se l'approprier, qui se tient dehors, en bas, en attendant que de lui-même il vienne. Son succès populaire fait ressortir a contrario le caractère paradoxalement mais résolument élitiste du pan(en)théisme -- dont la mystique trinitaire, contemplation de l'intérieur, est une version structurée, fort intelligemment et joliment au demeurant: on ne prie guère la Sainte-Trinité; on peut prier dans la Sainte-Trinité, mais plus de la même manière: on prend alors part -- si humblement et humainement que ce soit -- au conciliabule intérieur de la divinité.

Tout autre chose (?): le "Dieu" du Nouveau Testament donne parfois l'impression de ne plus supporter les justes -- à force sans doute de les avoir trop fréquentés. Il leur préfère désormais n'importe qui, prostituées, publicains, païens, escrocs, tyrans, méchants, pourvu qu'ils n'aient pas la prétention d'être justes. Cela le rend évidemment très sympathique, même s'il semble s'être montré passablement imprudent en exaltant la foi aux dépens de la justice: il ne connaissait pas encore les croyants...

 

 

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