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27 mars 2014 4 27 /03 /mars /2014 14:21

Qui rêve d'innocence du devenir se sait du devenir coupable (ponctuer, souligner, comment ? cette proposition), ou du moins inculpé -- mis en examen, Kierkegaard n'eût sans doute pas désavoué ce cas de Newspeak forensique (exister, c'est être examiné) et, différemment, le K. de Kafka non plus. (Le) devenir en effet n'est pas nommé, ni verbalisé, qu'il ne se soit déjà assujetti, par fiction grammaticale, pour le citer à comparaître et l'accuser en retour, un référent qui le précède, quand même à la réflexion c'est lui qui l'aura produit de toutes pièces. Aussitôt coupable, celui-ci, ou innocent, justiciable en tout cas, responsable de tout. Devant quoi, devant qui ? Moins devant quelque origine vierge et cependant mère, dont le séparent trop de pères suspects sur qui se défausser pour se disculper, que devant la postérité, encore exempte de postérité, face à laquelle il lui faut maintenant assumer, bon gré mal gré, et malgré sa qualité objective d'intermédiaire ou de subalterne, la responsabilité intégrale.

Devant un regard d'enfant, devoir répondre de tout. Pas seulement de "l'humanité" ni de "l'histoire", de la "vie" et de "l'univers" aussi bien. D'un papillon dévoré vivant par une araignée, par exemple. Devenir alors coupable universel, devenir Dieu dans son plus mauvais rôle; ou faussement innocent, parce qu'aussi victime, héros ou anti-héros tragique et néanmoins comique -- mais toujours cosmique. 

Le devenir n'absoudra son sujet qu'à s'absolutiser et à le dissoudre; à se résoudre, l'espace de cette disparition, à l'advenir impersonnel. Devant le neutre de ce qui (ou qu'il) advient. nul ne tient, nulle charge ne porte.

Printemps vénéneux, toxique, mortel, séducteur, trompeur, mille fois nocif, resplendissant pourtant, en son temps, du rire clair de l'innocence. Et de ses larmes implacables.

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26 mars 2014 3 26 /03 /mars /2014 19:11

L'émotion -- mieux qu'intacte, comme neuve et plus intense encore que celle dont j'avais pourtant gardé un souvenir vivace -- que je viens d'éprouver à revoir en quelques jours les six films d'Ozu (cinq des six derniers, soit toute sa production de 1958 à 1962 à l'exception d'Herbes flottantes, et un muet de 1932, Gosses de Tokyo, prototype -- superbe, déjà -- de Ohayo = Bonjour) rassemblés dans un coffret vidéo d'Arte découvert à la médiathèque de Cergy, laisse peu de place à la réflexion, encore moins au commentaire.

Tout juste peut-être à une petite idée, sans prétention d'originalité: si "l'Occident" s'est tant mépris sur l'oudénologie des "sagesses orientales" (épargnons déjà à ces dernières l'appellation de "philosophies" et la promiscuité qu'elle leur impose avec des entreprises intellectuelles trop différentes, souvent opposées), qui se décline au gré des traductions en néant, vide, impermanence, non-être, non-vouloir, non-savoir, non-agir, etc., ce serait moins parce qu'elles ne parlent pas de la même chose -- du même rien --  que parce qu'elles ne le voient pas au même endroit. 

La fortune historique du signe de la croix le montre assez, que l'on y voie d'ailleurs plutôt un "effet" ou une "cause": pour nous la mort, expression la plus concrète du "négatif", n'est pas banale. Nous ne l'envisageons guère -- et d'autant plus que nous l'envisageons moins souvent -- que sous forme hautement spectaculaire et significative (drame, tragédie, scandale, folie, absurde même). Nous sommes des "êtres" immortels entourés d'autres "êtres" immortels à qui arrive exceptionnellement -- ou qui plus exceptionnellement encore décident -- l'inimaginable, voire l'impossible: la mort d'un immortel. L'illusion sur soi et sur autrui qui précède la mort, l'approche de sa "propre" mort ou l'expérience, plus complète en un sens, de la mort d'autrui, rebondit sur la réalité de la mort en vérité imaginaire: il faut qu'une mort si peu ordinaire ait un sens extraordinaire. Formidable tremplin vers d'invraisemblables croyances religieuses, philosophiques, idéologiques, d'autant plus efficace que nous sommes incapables de nous y arrêter.

N'allons pas croire qu'il s'agit là d'une tare spécifique de "l'Occident", dont "l'Orient" serait par nature ou par miracle indemne. Le simple fait qu'elle soit là-bas contrée, corrigée ou compensée par des "sagesses" traditionnelles qui ont éprouvé le besoin de se dire et de s'écrire (des religions de l'Inde au bouddhisme en passant par le tao et leurs multiples variantes), montre qu'elle est tout autant l'a priori des "Orientaux". C'est une "culture" et au sein de celle-ci une éducation, une initiation, une pédagogie, qui apprend à voir le "négatif" non comme un accident extra-ordinaire appelant des rétablissements de sens extra-ordinaires, mais au cœur de toutes choses ordinaires. Qui a appris à le contempler, diffus et discret, dans la floraison d'un printemps, dans la beauté de la jeunesse, dans un sourire d'enfant ou dans l'émerveillement de l'amour, sans pour cela les aimer moins -- au contraire ! -- est moins surpris par sa manifestation douloureuse ou brutale; ou, plutôt, il est moins surpris d'en être surpris -- c'est déjà fini ! dit le mourant de Dernier caprice, assez sage pour savoir qu'on ne l'est jamais assez, et qu'il ne serait peut-être pas sage de l'être davantage.

Tout cela n'a pas besoin d'autre expression que celles de la banalité -- on est bien peu de chose -- où s'inscrivent également, sans rupture, les rituels "religieux". Ce que capte admirablement, à hauteur de tatami, le cinéma "à voix basse" d'Ozu. Dans le silence, ou le quasi-silence de phrases ou de gestes convenus, le regard (de Chishu Ryu ou de Setsuko Hara, notamment) qui voit ici et là, au retour d'une cérémonie matrimoniale ou funéraire, ce qu'il y a à voir: dans la vie, déjà, la mort, autour de la mort, encore, la vie qui continue, les choses qui demeurent -- c'est-à-dire qui passent aussi, mais à un rythme et à un tempo différent. Pensée sans pensée, "cyclique" si l'on veut, plutôt indéfiniment circonscrite, en paix douce-amère avec le brouillard qui dispense d'horizon, exempte de "fins dernières" comme de "causes premières". Elle ne remonte pas plus loin que les récits de la mémoire, elle ne vise pas beaucoup plus loin que l'avenir des petits-enfants, elle ne regarde en somme pas plus loin que ce qu'elle voit, mais elle le voit autrement.

Sans doute ce regard nous bouleverse-t-il d'autant plus que ce n'est décidément pas le nôtre, à nous qui nous refusons -- comme les garnements d'Ohayo -- à parler pour ne rien dire, et qui sommes trop occupés à répondre sérieusement au bavardage de nos siècles par un bavardage moderne ou post-moderne pour voir le "négatif" où il est, où il travaille en silence, dans le "positif" même.

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22 mars 2014 6 22 /03 /mars /2014 17:46

Entre deux maximes célèbres, celle du Deutéronome (viii, 3, l'homme ne vit pas de pain seulement, leçon tirée de la légende de la manne qui aurait nourri Israël au désert) et celle de Marx (Sie [= die Religion] ist das Opium des Volks, déjà dans l'introduction à la Critique de la philosophie hégelienne du droit, en 1844), en passant ou non par les citations de la première dans les tentations évangéliques (Matthieu iv // Luc iv, où ce qui s'oppose au pain "naturel" et cependant "culturel", "fruit de la terre et du travail des hommes" comme le dit la liturgie de la messe, n'est plus une nourriture miraculeuse et néanmoins physique, ce que précisément propose le "diable" et que "Jésus" refuse, puisqu'il est là pour jeûner) ou par les préfigurations de la seconde chez Sade (1797, "Tu redoutes l'œil puissant du génie, voilà pourquoi tu favorises l'ignorance. C'est de l'opium que tu fais prendre à ton peuple, afin qu'engourdi par ce somnifère, il ne sente pas les plaies dont tu le déchires", déclare Juliette au roi Ferdinand) ou Heine (dans un texte de 1840 effectivement remarqué par Marx, cf. http://de.wikipedia.org/wiki/Opium_des_Volkes), la confrontation paraît inévitable, et l'explication indispensable.

Elle n'aura évidemment lieu qu'en différé, au prix d'un anachronisme inégal, à partir d'une position post-critique où le divorce entre "pain" et "réalité" d'une part, "parole de dieu" et "religion" d'autre part, est consommé et acté; une position, donc, nécessairement plus proche de la seconde que de la première, mais qui à défaut d'équidistance pourrait tout de même se montrer équitable, tant la plus jeune des parties, vue de là, semble avoir vieilli plus vite que l'autre.

Au XIXe siècle le rapport du "matériel" et du "spirituel" se joue dans un nombre limité de configurations. Exclusivité qui exige le rejet de l'un au bénéfice d'une consécration entière à l'autre (renoncer à "l'opium" de la "religion" pour accorder toute son attention et son énergie aux conditions de production et de répartition du "pain", plus souvent que le contraire, en théorie du moins, idée partagée bien au-delà du "marxisme" en tout cas, et quasi symétrique d'une certaine tradition évangélique: on ne peut pas servir deux maîtres), subordination qui met l'un au service de l'autre et le soumet à son jugement (la "religion" se justifie ou non en fonction de son utilité éventuelle pour l'organisation économique et sociale de la "réalité" matérielle des hommes), séparation en deux ordres mutuellement irréductibles et incommunicables, inaptes dès lors à se juger comme à se justifier l'un l'autre. La "question religieuse" y prend en tout cas un tour paradoxal, dialectique d'un côté et aporétique de l'autre: elle devient celle de l'utilité de l'inutile. Ainsi posée, on pourra sans doute la trancher affirmativement ou négativement, elle ne s'en trouvera pas moins dans le voisinage d'autres "domaines" avec lesquels elle ne manquera pas de se confondre, pour autant que leur "question" se pose en des termes analogues. De "l'art", de la "philosophie" même pour autant qu'elle cherche -- selon une autre formule fameuse de Marx -- à comprendre le monde plu(s)tôt qu'à le changer, on dénoncera ou on louera pareillement l'inutilité. Et qui se mêlera de les défendre, fût-ce par la voie du paradoxe (l'inutilité utile), ne tardera pas à rougir de ce "baiser de Judas de la bêtise" dont Kierkegaard stigmatisait l'apologétique chrétienne. Car justifier l'inutile par l'utilité, c'est aussitôt le compromettre, aussi ridiculement que radicalement.

Point n'est besoin de dire que de tels dilemmes eussent été incompréhensibles aux "auteurs" comme aux premiers lecteurs-auditeurs du Deutéronome. Il suffit d'ouvrir un peu le contexte (viii, 2ss):

וְזָכַרְתָּ אֶת-כָּל-הַדֶּרֶךְ אֲשֶׁר הוֹלִיכְךָ יְהוָה אֱלהֶיךָ זֶה אַרְבָּעִים שָׁנָה בַּמִּדְבָּר לְמַעַן עַנּתְךָ לְנַסּתְךָ לָדַעַת אֶת-אֲשֶׁר בִּלְבָבְךָ הֲתִשְׁמר מִצְו‍תָו--אִם-לא וַיְעַנְּךָ וַיַּרְעִבֶךָ וַיַּאֲכִלְך אֶת-הַמָּן אֲשֶׁר לא-יָדַעְתָּ וְלא יָדְעוּן אֲבתֶיךָ לְמַעַן הוֹדִיעֲךָ כִּי לא עַל-הַלֶּחֶם לְבַדּוֹ יִחְיֶה הָאָדָם כִּי עַל-כָּל-מוֹצָא פִי-יְהוָה יִחְיֶה הָאָדָם שִׂמְלָתְךָ לא בָלְתָה מֵעָלֶיךָ וְרַגְלְךָ לא בָצֵקָה זֶה אַרְבָּעִים שָׁנָה וְיָדַעְתָּ עִם-לְבָבֶךָ כִּי כַּאֲשֶׁר יְיַסֵּר אִישׁ אֶת-בְּנוֹ יְהוָה אֱלהֶיךָ מְיַסְּרֶךָּ וְשָׁמַרְתָּ אֶת-מִצְו‍ת יְהוָה אֱלהֶיךָ לָלֶכֶת בִּדְרָכָיו וּלְיִרְאָה אתוֹ כִּי יְהוָה אֱלהֶיךָ מְבִיאֲךָ אֶל-אֶרֶץ טוֹבָה אֶרֶץ נַחֲלֵי מָיִם עֲיָנת וּתְהמת יצְאִים בַּבִּקְעָה וּבָהָר אֶרֶץ חִטָּה וּשְׂערָה וְגֶפֶן וּתְאֵנָה וְרִמּוֹן; אֶרֶץ-זֵית שֶׁמֶן וּדְבָשׁ אֶרֶץ אֲשֶׁר לא בְמִסְכֵּנֻת תּאכַל בָּהּ לֶחֶם לא-תֶחְסַר כּל בָּהּ אֶרֶץ אֲשֶׁר אֲבָנֶיהָ בַרְזֶל וּמֵהֲרָרֶיהָ תַּחְצב נְחשֶׁת וְאָכַלְתָּ וְשָׂבָעְתָּ וּבֵרַכְתָּ אֶת-יְהוָה אֱלהֶיךָ עַל-הָאָרֶץ הַטּבָה אֲשֶׁר נָתַן-לָךְ הִשָּׁמֶר לְךָ פֶּן-תִּשְׁכַּח אֶת-יְהוָה אֱלהֶיךָ לְבִלְתִּי שְׁמר מִצְוֹתָיו וּמִשְׁפָּטָיו וְחֻקּתָיו אֲשֶׁר אָנכִי מְצַוְּךָ הַיּוֹם פֶּן-תּאכַל וְשָׂבָעְתָּ וּבָתִּים טבִים תִּבְנֶה וְיָשָׁבְתָּ וּבְקָרְךָ וְצאנְךָ יִרְבְּיֻן וְכֶסֶף וְזָהָב יִרְבֶּה-לָּךְ וְכל אֲשֶׁר-לְךָ יִרְבֶּהוְרָם לְבָבֶךָ וְשָׁכַחְתָּ אֶת-יְהוָה אֱלהֶיךָ הַמּוֹצִיאֲךָ מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם מִבֵּית עֲבָדִים הַמּוֹלִיכְךָ בַּמִּדְבָּר הַגָּדל וְהַנּוֹרָא נָחָשׁ שָׂרָף וְעַקְרָב וְצִמָּאוֹן אֲשֶׁר אֵין-מָיִם הַמּוֹצִיא לְךָ מַיִם מִצּוּר הַחַלָּמִישׁ הַמַּאֲכִלְךָ מָן בַּמִּדְבָּר אֲשֶׁר לא-יָדְעוּן אֲבתֶיךָ לְמַעַן עַנּתְךָ וּלְמַעַן נַסּתֶךָ לְהֵיטִבְךָ בְּאַחֲרִיתֶךָ וְאָמַרְתָּ בִּלְבָבֶךָ כּחִי וְעצֶם יָדִי עָשָׂה לִי אֶת-הַחַיִל הַזֶּה וְזָכַרְתָּ אֶת-יְהוָה אֱלהֶיךָ כִּי הוּא הַנּתֵן לְךָ כחַ לַעֲשׂוֹת חָיִל לְמַעַן הָקִים אֶת-בְּרִיתוֹ אֲשֶׁר-נִשְׁבַּע לַאֲבתֶיךָ כַּיּוֹם הַזֶּה.

Tu te souviendras de tout le chemin que Yahvé, ton Dieu, t'a fait parcourir pendant ces quarante années dans le désert, afin de t'affliger (ou: de t'humilier) et de te mettre à l'épreuve, pour savoir ce qu'il y avait dans ton cœur, si tu observerais ou non ses commandements. Il t'a donc affligé (idem), il t'a fait souffrir de la faim et t'a nourri de la manne que tu ne connaissais pas et que tes pères n'avaient pas connue, afin de t'apprendre que l'homme ne vit pas de pain seulement, mais que l'homme vit de tout ce qui sort de la bouche de Yahvé. Ton manteau ne s'est pas usé sur toi et tes pieds n'ont pas enflé pendant ces quarante années. Sache donc bien que Yahvé, ton Dieu, t'instruit comme un homme instruit son fils. Tu observeras les commandements de Yahvé, ton Dieu, en suivant ses voies et en le craignant. Car Yahvé, ton Dieu, te fait entrer dans un bon pays, un pays de cours d'eau, de sources et d'abîmes qui jaillissent dans les vallées et dans les montagnes; un pays de froment, d'orge, de vignes, de figuiers et de grenadiers; un pays d'oliviers et de miel; un pays où tu mangeras sans avoir à te rationner, où tu ne manqueras de rien; un pays où les pierres sont du fer, et où tu extrairas le cuivre des montagnes. Lorsque tu mangeras et que tu seras rassasié, tu béniras Yahvé, ton Dieu, pour le bon pays qu'il t'a donné. Garde-toi d'oublier Yahvé, ton Dieu, de ne pas observer ses commandements, ses règles et ses prescriptions, tels que je les institue pour toi aujourd'hui. Lorsque tu mangeras et que tu seras rassasié, lorsque tu bâtiras et habiteras de belles maisons, lorsque ton gros bétail et ton petit bétail se multiplieront, que l'argent et l'or se multiplieront pour toi et que tout ce qui t'appartient se multipliera,  prends garde, de peur que ton cœur ne s'élève et que tu n'oublies Yahvé, ton Dieu, qui te fait sortir de l'Egypte, de la maison des esclaves. Il t'a fait marcher dans ce désert grand et redoutable, pays des serpents brûlants, des scorpions et de la soif, où il n'y a pas d'eau; il a fait jaillir pour toi de l'eau du rocher de granit, il t'a fait manger dans le désert la manne que tes pères ne connaissaient pas, afin de t'affliger et de te mettre à l'épreuve, pour te faire du bien par la suite. Et tu te dirais: "C'est par ma force et la vigueur de ma main que j'ai acquis toutes ces richesses!" Tu te souviendras de Yahvé, ton Dieu, car c'est lui qui te donne de la force pour acquérir ces richesses, afin d'établir son alliance, celle qu'il a jurée à tes pères -- voilà pourquoi il en est ainsi en ce jour.

Nulle antinomie qualitative, ici, entre "matériel" et "spirituel"; rien, à vrai dire, qui échappe au "matériel": le dieu qui assure la prospérité des sédentaires -- non pas seulement le nécessaire mais le superflu, ivresse incluse: faute d'opium il y a du vin -- est aussi celui qui, dans tous les sens de l'expression, pourvoit à la précarité et à l'austérité des nomades, qu'ils le soient par tradition ou par accident du hasard ou de la providence. Une différence quantitative et temporelle cependant: l'abondance installée, maîtrisant son économie et ses moyens de production (par le travail et ses techniques, agricoles, minières, artisanales, commerciales) ainsi que sa temporalité propre, qui est longue (cycle annuel des saisons, pluriannuel des plantations et autres retours sur investissements, générationnel des héritages), tend à occulter ou à faire oublier son origine divine, que la précarité itinérante rappelle en revanche, au jour le jour -- au rythme de la manne justement, l'exception hebdomadaire du sabbat confirmant la règle. Ce qui s'oppose au "pain" n'en diffère qualitativement que par la reconnaissance -- l'eucharistie -- de son origine divine, et/ou un supplément d'étonnement ou d'émerveillement quant à (l'être de) la "chose" même (cf. le jeu de mots étiologique d'Exode xvi, 15 sur la "manne", au départ aliment bien réel et rare du désert: מָן הוּא - quoi ça, qu'est-ce que c'est ?), en dépit de sa frugalité et de sa monotonie qui ne manquent pas de susciter des récriminations (Nombres xi, 6 -- ce que d'ailleurs le livre hellénistique de la Sagesse renversera, selon sa fascination de l'articulation de l'un et du multiple, en infinie diversité de goûts, chap. xvi).

Dans les tentations évangéliques le propos change de sens, préparé à cela par la traduction grecque du Deutéronome et la Sagesse: ce qui s'oppose au "pain" c'est la parole (rhma) de Dieu, qui n'est plus une "chose", qui ne se confond plus avec les "choses" qu'elle produit. Les quarante jours de jeûne de Jésus au désert rappellent sans doute les quarante ans d'Israël au désert, mais plus encore les quarante jours de Moïse (Exode xxxiv, 28, לֶחֶם לא אָכַל וּמַיִם לא שָׁתָה, il ne mangea pas de pain, il ne but pas d'eau) ou d'Elie (1 Rois xix, 4ss, la nourriture de l'ange avant quarante jours de marche) au Sinaï-Horeb. L'entretien de la divinité, source de toute nourriture, tient lieu de pain, il en abolit la nécessité et la médiation "matérielles". Et c'est bien ce qui sous-tend les exhortations souverainement irréalistes des mêmes Evangiles (saint Matthieu et saint Luc) à l'insouciance: d'une manière ou d'une autre Dieu nourrit, pourquoi s'inquiéter des moyens ?

On peut comprendre la rage de la modernité contre cette simplicité merveilleuse, qui ignore superbement les médiations: elle est à la lettre contre-productive à tout point de vue économique. En la qualifiant d'opium, la critique rationaliste puis socialiste lui reconnaît tout de même, outre la vertu de l'anesthésie, le privilège paradoxal du luxe et du plaisir -- comme si le mépris ou la condescendance cachait un peu d'envie ou de dépit. Privilège du pauvre assurément, illusoire sans doute, faux luxe et faux plaisir au regard de la sévère objectivité matérielle. Mais la pauvreté peut en juger autrement. Et les règles de son jeu, tout aussi matérielles d'ailleurs que celles de l'économie des richesses, n'admettent pas de tricherie. Ce que possède le pauvre -- et on ne peut pas tout lui prendre, comme disait Garance -- à la place de possessions, le riche ne le possédera pas en plus des siennes.

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21 mars 2014 5 21 /03 /mars /2014 21:50

Entre logoV (verbum ou ratio) et qeoV (ou muqoV), au lieu de leur affrontement qui jamais ne se fixe en frontière -- ligne de front, non de démarcation -- notre place; inconfortable, certes, mais dont nous ne nous éloignons guère, tant est alors impérieux notre besoin de l'autre pour échapper à l'empire de l'un.

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Rapporter, tout être, toute chose, tout événement, toute différence à son absence; le faire disparaître pour le faire apparaître (Fort, Da, de Freud à Derrida, ou le contraire), voilà, schématisé, le principe re-spiratoire de "l'esprit". Il fut un temps où le fond noir du ciel, la profondeur de la mer ou l'étendue du désert y suffisait amplement. L'"univers", bizarrement, n'y suffit plus. Dans la cosmologie (moderne, scientifique) la plus vertigineuse, "l'esprit", à l'étroit, suffoque, cherchant en vain une porte ou une fenêtre qui n'existe pas. Il ne (se) survit (faiblement, péniblement) que par respiration artificielle de négation essentielle, comme chimiquement pure, abstraction et absolutisation du non (néant, non-être, etc.) lui tenant lieu (ersatz, succédané) de mythe. De là sans doute sa triste mine.  

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Une toute petite maison, immense à l'intérieur: idée (projet de dessin ?) d'une petite fille, qui doit avoir près de quarante ans maintenant. Je ne lui vois guère de réalisation que cinématographique.

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Espace virtuel toujours, virtuellement infini parce que réellement borné, circonscrit ou cadré, celui de la technique, du graphisme pariétal à l'écran, en passant par le cercle du conteur ou du nécromant, la scène du théâtre ou la page du livre. Qui ne libère qu'en captivant. N'en déplaise à Socrate et Platon, l'illusion des ombres excède la réalité des corps, des âmes et des idées (our shadows taller than our souls); plus vaste l'intérieur de la caverne mystificatrice, le pli obscur où elles déploient leur jeu d'artifice, que son extérieur objectif et indubitable, sous l'implacable zénith.

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Au fond de l'intériorité séductrice, trompeuse donc, l'extase, immense, abolit la distance, la mesure et le cadre. Dedans e(s)t dehors.

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19 mars 2014 3 19 /03 /mars /2014 21:20

La fin -- et l'absence de fin, du moment qu'on y aboutisse comme à une conclusion, logique ou arbitraire, définitive ou même provisoire -- abolit les moyens.

Une fois de plus enfonçons les portes ouvertes, puisque aussi bien nous les retrouvons toujours fermées: toute (l')économie humaine aux sens dits propre et figuré, depuis les outils ou les signes les plus rudimentaires, s'est construite comme un réseau de médiations et de médiatisations, d'une densité et d'une complexité croissantes malgré quelques simplifications accidentelles ou catastrophiques, donnant à chaque "époque" plus ou moins stabilisée l'illusion synchronique d'un "système" qui fonctionnait, en l'absence peut-être de toute fin "dernière" ou "absolue", mais dont chaque élément n'en était pas moins pré-posé et assigné à une fin qui le dépassait, et que dès lors il pouvait et devait servir. Les exceptions à ce régime utilitaire -- si dépourvu d'utilité qu'il soit lui-même, globalement -- n'y ont été possibles que dans la mesure où, sous ce régime, elles n'en étaient pas. Tout ce qui, à tel ou tel point de vue, paraît inutile et gratuit -- fête, jeu, folie, paresse, amour, violence, destruction, sacrifice, religion, art -- a dû son apparition, son existence ou sa subsistance (autrement dit son temps de viabilité économique) à une présomption d'utilité, qui pouvait aller de la croyance enthousiaste au vague scrupule (du type superstition ou principe de précaution: sait-on jamais ? cela pourrait bien, contre toute apparence, servir quand même à quelque chose) en passant par une période plus ou moins longue de consensus tacite.

Le lieu de l'angoisse est aussi celui du désir; celle-là borne, latéralement, la marche de celui-ci et lui impose un sens, une direction, une conduite: la clôture, l'enfermement, le resserrement, l'alignement, la stricture de l'une sont nécessaires au mouvement, à la pulsion pro-ductrice et re-productrice de l'autre. Contrainte, pression et attraction d'un circuit ouvert ou fermé, gigantesque concaténation ou tuyauterie socio-logique enchaînant ou entubant le bien-nommé "sujet", assujetti, asservi à des fins qui se transformeront à leur tour en moyens avant même qu'il les ait atteintes, où chacun peut ambitionner et redouter autant d'y arriver que de ne jamais y arriver.

Rien de tragique dans la grande majorité des cas, dira-t-on: là où le désir l'emporte sur l'angoisse, celle-ci apparaît simplement utile et nécessaire: saine restriction qui canalise et entretient le mouvement, la circulation, le fonctionnement.

Mais des fois l'angoisse l'emporte sur le désir et ça coince. Ça dys-fonctionne et ça fait mal. 

Ce ne fut pas la moindre astuce de l'homme envers lui-même que de baptiser liberté ou bonheur son système de contrainte.

Je n'ai écrit que pour l'enfant terrorisé que je n'ai cessé d'être.

Je n'ai écrit que parce celui-là a, un jour, cessé d(e l)'être.

Qui entendra la puissance explosive, libératrice et dé-structrice, de la toute première parole de "Jésus" dans l'évangile selon saint Marc (i, 15) ? 
Πεπλήρωται καιρὸς καὶ ἤγγικεν βασιλεία τοῦ θεοῦ : Le temps (la saison) est achevé(e), le règne de Dieu est là (littéralement s'est approché, à ce temps "parfait" qui décrit l'action accomplie, comme pour le verbe précédent) .
-- Celui-là seul qui ne veut plus que ça continue, celui-là seul qui n'en peut plus. 

Où l'on peut entendre la réminiscence d'une autre introduction célèbre, celle du Deutéro-Isaïe (chap. xl) citée d'ailleurs un peu plus haut (Marc i, 3 <- Isaïe xl, 3):

נַחֲמוּ נַחֲמוּ עַמִּי   יאמַר אֱלהֵיכֶם
דַּבְּרוּ עַל-לֵב יְרוּשָׁלַם   וְקִרְאוּ אֵלֶיהָ
--כִּי מָלְאָה צְבָאָהּ    כִּי נִרְצָה עֲו‍נָהּ
כִּי לָקְחָה מִיַּד יְהוָה כִּפְלַיִם    בְּכָל-חַטּאתֶיהָ

Consolez, consolez mon peuple -- dit votre dieu --
parlez au cœur
(formule de la persuasion et de la séduction, notamment érotiques) de Jérusalem, et annoncez-lui
que son temps
(littéralement son armée, d'où temps de service, de conscription, d'enrôlement ou d'embrigadement militaire ou d'asservissement et de travail forcé en captivité; son humiliation, traduit le grec) est achevé, que sa faute est expiée,
car elle a reçu de la main de Yahvé le double (de ce qu'elle méritait) pour tous ses péchés.

Evidemment, la poursuite inlassable de l'histoire dont témoignent aussi les réitérations scripturales de la fin contredit péniblement la teneur du message. La contra-diction n'est-elle pas, en plus d'un sens, la condition même de l'écriture ? Cela même s'entendra différemment, selon que l'emporte l'angoisse ou le désir, de la suite ou de la fin.

 

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16 mars 2014 7 16 /03 /mars /2014 19:19

Angoisse et volupté de disparaître.

Communicantes, depuis les terreurs et les jeux de l'enfance; convertibles l'une en l'autre, éventuellement, dans les deux sens; irréductibles l'une et l'autre à l'indifférence qu'affecte à leur endroit la raison, bien ou mal partagée par l'objectivité et la neutralité du tiers qui s'imaginerait ici être assez peu partie pour se faire juge. Tel les jugerait respectivement égocentrique et égoïste -- ou bien, malheureusement et heureusement égoïstes.

Pareil jugement appellerait au moins deux réserves:

1) Il n'est pas dit que cette ambivalence affective soit l'apanage d'un sujet individuel susceptible de dire je, ego. Une collectivité, couple, famille, clan, classe, parti, nation, civilisation, espèce même, pourrait bien envisager sa disparition à la première personne du pluriel avec des sentiments analogues; peut-être éprouverait-elle seulement, à son échelle, de plus grandes difficultés à les exprimer. Si elle y parvienait quand même, il faudrait alors transposer l'égocentrisme en un autre -centrisme (le choix ne manque pas), et/ou parler d'égoïsme à plusieurs. Reste que la perspective (réfléchie) de sa disparition obnubile peu ou prou son sujet, individuel ou collectif, à l'avenir des autres, de ce qui ne disparaîtra pas, du moins pas tout de suite ou pas en même temps -- condition de son angoisse et de sa volupté.

2) Il semble y avoir aussi, entre elles, une asymétrie: l'angoisse enferme en soi, la volupté ouvre, dans le sens du débordement ou de l'accueil. On exagérerait à peine en disant contre l'opinion générale qu'il n'y a pas plus d'angoisse partagée que de volupté solitaire. L'avantage de la seconde étant alors de déboucher sur autre que soi, même s'il ne s'agit pas d'un ou d'une autre -- d'un semblable.

*

*         *

La relecture récente d'un chapitre de l'Ancien Testament lui avait fait retrouver avec plaisir un joli verset (2 Samuel xiv, 14) qui l'avait marqué de longue date, en dépit -- ou peut-être un peu à cause -- de son ambiguïté partielle:

כִּי-מוֹת נָמוּת--וְכַמַּיִם הַנִּגָּרִים אַרְצָה אֲשֶׁר לא יֵאָסֵפוּ וְלא-יִשָּׂא אֱלהִים נֶפֶשׁ וְחָשַׁב מַחֲשָׁבוֹת לְבִלְתִּי יִדַּח מִמֶּנּוּ נִדָּח

En effet nous mour(r)ons / comme les eaux répandues à terre ne se rassemblent pas / le dieu ne lève pas d'âme / (mais) il fait en sorte (litt. il pense des pensées = il fait des plans pour) que le banni ne soit pas banni loin de lui.

Sans doute étaient-ce surtout les deux premières propositions, dont le sens ne présentait pas de difficulté, qui avaient d'abord attiré son attention: représentation liquide et liquéfiante de la mort comme désagrégation ou dislocation irréversible, effusion sans recueillement, dissémination sans récolte, perte sans recouvrement, à l'opposé à la fois de la formule classique du mort "réuni à ses pères" (ad patres), et de toutes les formes du retour (de l'esprit, de l'âme) à Dieu -- encore que la (dis-)solution aqueuse, du sang comme de l'eau, n'échappât point à l'horizon incalculable du retour par la terre à l'indifférencié primordial, océanique et souterrain, des cosmologies anciennes.

Beaucoup plus problématique était la troisième proposition, qu'il avait traduite obscurément par le dieu ne lève pas d'âme. En hébreu biblique elle pouvait suggérer au moins trois sens fort différents:
1) le dieu ne relève pas les morts: vérité générale, parfaitement illustrée par l'image précédente, et dont l'expression était fréquente dans la Bible hébraïque (cf. xii, 23; Psaume lxxxviii, 6,11; Job vii, 9s; x, 21s; xiv; xvi, 22) où la croyance à la résurrection des morts n'apparaissait a contrario que dans des textes très tardifs (surtout Daniel xii).
2) le dieu n'enlève pas la vie, qui s'accorderait au contraire à l'expression de grâce qui suivait.
3) à la rigueur, sur le modèle d'expressions voisines ([re]lever le visage ou la tête de quelqu'un au sens de "faire acception de personne" = être partial), le dieu ne fait pas de faveur -- qui aurait un rapport plus distant, mais de distance sensiblement égale, à ce qui précédait et suivait.

Le contexte n'aidait guère à choisir: une série de règlements de comptes, de style très méditerranéen, entre les fils du roi David: Absalom (dont le futur Salomon serait comme la réplique positive) était en exil après avoir tué son demi-frère Amnon, qui avait violé sa sœur (demi-sœur d'Amnon, sœur à part entière d'Absalom, nuance significative en situation de polygamie royale). Pour faire rentrer Absalom en grâce, Joab, chef de guerre de David, recourait (un peu comme le prophète Nathan au chapitre xii) à une mise en scène dramatique, fictive et décalée de la situation (Hamlet n'avait rien inventé). Une femme, veuve, vient implorer la grâce du roi: un de ses deux fils a tué l'autre, et elle le supplie de suspendre exceptionnellement le cours normal de la vengeance clanique qui entraînerait la disparition de sa famille. Quand le roi a accédé à sa requête, elle pointe son incohérence. Selon la même logique, il devrait aussi mettre un terme au ban de son propre fils. Le verset précité se situait à ce point du discours. David finirait par suivre, en deux temps, le conseil de la femme et de Joab: il autoriserait d'abord Absalom à revenir à Jérusalem, sans le recevoir; puis il lui restaurerait sa faveur, et s'en mordrait bientôt les doigts.

Le sens général de la phrase était limpide: la mort étant une perte irrémédiable, il fallait sauver le vivant pendant qu'il l'était, et cela justifiait en principe toutes les entorses à la loi écrite ou coutumière. On retrouverait le même principe jusque dans les évangiles chrétiens et dans la piqqouah nephesh rabbinique -- malgré de part et d'autre la croyance à la résurrection et à la survie de l'âme. Mais ce principe d'exception à la règle ne saurait constituer une règle. On verrait d'ailleurs au chapitre xxi David livrer des hommes du clan de Saül (de parfaits innocents au regard du concept deutéronomique et moderne de la responsabilité individuelle, cf. Deutéronome xxiv, 16) au clan de Gabaon pour que s'accomplît la vengeance clanique, dont la non-satisfaction avait entraîné une famine -- par un automatisme qui n'avait rien à envier à la nemesiV grecque, laquelle avait d'ailleurs un équivalent assez exact dans la qçp hébraïque, "colère", "indignation" souvent sans sujet qui s'imposait aux dieux autant qu'aux hommes pour corriger un désordre. Là, le dieu comme le roi se soumettait à la loi de la vengeance.

Ce qui était beaucoup moins clair, dans l'exégèse de la phrase et bien au-delà, c'était la position du divin, qui était pourtant invoqué sans qu'on pût savoir au juste à quel titre et à quelle fin. Elle se donnait d'abord pour négative. Ou bien (1) il ne fait rien contre la règle ou l'arbitraire de la mort, il ne sauve personne, ou bien (2) il ne fait rien pour, il ne tue personne, ou bien (3) il ne fait pas d'exception, dans un sens ou dans l'autre. Par rapport au jeu de la vie et de la mort, à ce qu'on pouvait aussi bien appeler "la réalité", il se tenait comme en retrait, mais il ne s'en désintéressait pas pour autant. Car dans son coin -- c'était l'affirmation positive de la quatrième proposition --  il n'en pensait pas moins: il calculait, spéculait, composait avec la réalité pour lui ménager des issues, parfois inattendues. Le verbe hšb (avec un complément d'objet dérivé, חָשַׁב מַחֲשָׁבוֹת, il pense des pensées, il fait des plans, formule qui d'ailleurs décrivait souvent en mauvaise part les complots des intrigants) rappelait la conclusion émouvante du roman de Joseph, où le protagoniste rassurait ses frères qui avaient projeté de le tuer et avaient finalement jugé plus expédient de le vendre comme esclave: וְאַתֶּם חֲשַׁבְתֶּם עָלַי רָעָה אֱלהִים חֲשָׁבָהּ לְטבָה, Vous, vous aviez pensé contre moi en mal, le dieu l'avait pensé en bien. Ce que captait assez justement le proverbe espagnol Dios escribe derecho en renglones torcidos, Dieu écrit droit sur des lignes tordues.

La visée de cette pensée divine et néanmoins obscurément calculatrice, c'était bien sûr, selon l'interprétation orientée de Joab, celle du stratagème théâtral lui-même: que le banni (Absalom) ne reste pas banni. Mais l'expression disait quelque chose de plus sur le bannissement (מִמֶּנּוּ, banni de lui, loin de lui, i.e. du dieu), qui devait rappeler à son destinataire un souvenir: David en effet avait lui-même été exilé, quelques chapitres plus tôt, et, protestant contre son sort, il en avait énoncé la conséquence "religieuse" selon l'opinion générale: qui était banni de sa terre, de son lieu, de sa communauté, était ipso facto éloigné, aliéné de ses dieux et voué à en "servir" d'autres, ceux de la terre d'exil (cf. 1 Samuel xxvi, 19s). Or la suite de l'histoire évidemment montrait -- c'en était même l'un des enjeux majeurs au temps de la rédaction, marqué par l'exil des derniers rois de la "maison de David" à Babylone, cf. la conclusion de l'ensemble, 2 Rois xxiv--xxv -- qu'il n'en était rien. Si la divinité n'intervenait pas dans l'histoire, en tout cas pas de façon tonitruante ou triomphale,, les exclus ou les perdants de l'histoire n'étaient pas bannis de ses "pensées" ou de ses "plans" où se tramait l'avenir (cf. p. ex. Jérémie xxiv). Ils pouvaient même y jouer -- pour le meilleur et pour le pire, s'agissant d'Absalom -- un rôle de premier plan.

Sans doute la grâce divine, à se mêler d'histoire petite ou grande, fictive ou réelle, n'avait jamais gagné en lisibilité et en fiabilité, mais tel était le prix de son éventuelle pertinence: qu'elle s'y risque avec les mortels et les événements aléatoires, fût-ce obscurément et à la marge. Là, elle apparaissait tout autre qu'une faveur souveraine et souverainement efficace, mais au moins elle apparaissait quelquefois, à la faveur d'une interprétation elle-même risquée et peut-être gratuite.

Etrangement ce texte lui rappelait -- per obscura ad obscuriora -- la formule encore plus sibylline de Qohéleth (iii, 15):
מַה-שֶּׁהָיָה כְּבָר הוּא וַאֲשֶׁר לִהְיוֹת כְּבָר הָיָה וְהָאֱלהִים יְבַקֵּשׁ אֶת-נִרְדָּף
Ce qui a été, c'est ce qui sera; et ce qui doit être, c'est ce qui a été; le dieu cherche ce qui est poursuivi.

Poursuite de l'avenir ou du passé (recherche du temps perdu ou des neiges d'antan), de la justice (v. 16) ou de l'intérêt (מַה-יִּתְרוֹןque reste-t-il, quel avantage, à quoi bon, i, 3 etc.), du fugitif toujours, poursuite (ou pâture) du vent, ou de l'esprit (רְעוּת רוּחַ, i, 14 etc.), dont le retour pourtant, comme celui des eaux à jamais perdues, ne faisait pas de doute (i, 4ss). De la vanité-futilité d'Abel la victime (הֲבֵל, i, 2 et Genèse iv) au signe de la grâce et de l'errance de Caïn le meurtrier, rien ne passe et rien ne se passe que ce qui passe. 

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12 mars 2014 3 12 /03 /mars /2014 22:10

Etait-ce le fait d'une idiosyncrasie "personnelle", typique de quelque type ou caractère répertorié par quelque taxonomie psycho(patho)logique, ou bien celui d'une "culture" (de classe, d'époque, de civilisation), ou d'une généralité plus générale encore (universel "humain", nécessité-structurelle-et-fonctionnelle-du-langage-et-de-la représentation) ? Le "sujet" qui, par extrapolation de la grammaire analytique et non sans réminiscence paradoxale d'ancien régime, avait été -- après la "conscience", la "personne" ou l'"âme" -- le maître moi de son lieu et de son temps, dans une langue qui de surcroît le prêtait au je(u), ne lui avait guère semblé se concevoir et se figurer que comme un point géométrique sans épaisseur et sans volume, sans masse, sans poids, sans corps, sans sexe, sans genre et sans espèce. A l'ego de Descartes déjà l'étendue avait manqué -- avant de lui être suppléée comme une prothèse, par adjonction d'extériorité. Qu'était-il sans cela, sinon une place (spot) sans contenance et sans capacité dans un espace à n dimensions (une, deux, trois, quatre, peut-être bien davantage), dont peu importait dès lors qu'on se l'imaginât vide ou pleine, étant, ou n'étant pas, quelque chose ou rien.Au point où l'espagnol et le portugais hésiteraient -- vacilleraient -- entre ser et estar, cela n'était que d'être quelque part. Et pas toujours au même endroit. La mémoire qui de son illusion tenace constituait et garantissait son unité l'assignait simultanément à mille positions successives, lieux, moments, mouvements, émotions, sentiments, pensées, relations. Ici et là, ponctuellement, il aurait été, le même peut-être, mais alors différemment. Sans doute cette différence tenait-elle à l'excès graphique du "point" en tant que signe, marque, tache ou trace sensible, sur son "signifié" géométrique intelligible: sur le papier une figure si petite et élémentaire soit-elle, une couleur même noire, dans le souvenir une diversité de formes, de sons, d'odeurs et de sensations, de phrases musicales ou verbales, de visages qui se rappelaient d'eux-mêmes, qui débordaient de tous côtés la ponctualité de l'instant.  Entre les empreintes de cette constellation topographique, des traits logiques et narratifs, conventionnels ou arbitraires au départ, forcés ensuite par le repassage et le rabâchage au point d'occulter ce qu'ils reliaient,, trop nombreux enfin pour que s'en dégage encore quelque figure que ce soit, avaient surimposé un sens, des sens, trop de sens pour faire un sens.

A l'interrogatif (de contrôle) d'identité (qui ?), les questions de circonstance (où, quand, comment ?) paraissaient curieusement plus essentielles que la question d'essence (quoi ?). Il se rappelait le commentaire énigmatique d'un exégète (Jacques Chopineau) sur le récit de l'Eden (Genèse, iii, 8s): avant la question "qu'est-ce que l'homme ?" (qui, du reste, dans les écrits poétiques et sapientiaux de l'Ancien Testament où elle se posait, n'était guère que ce qu'on appelle aujourd'hui une question rhétorique, sous-entendant une réponse modeste, du genre "rien ou pas grand-chose"), venait la question "où es-tu ?" Celle-ci d'ailleurs ne se posait qu'au point où "l'homme" n'était pas -- au lieu et à l'heure où on (Yahvé en l'occurrence) comptait le trouver et où il avait, peut-être, posé un lapin. No show, défection, désertion, ellipse, syncope, défaut de comparution et de ponctualité en somme, telle était la condition négative de la remarque d'une absence qui soulevait la question positive par excellente, celle de la position: où. Qu'il y ait un signe, un sens, cela dépendait d'une irrégularité, d'une exception à la règle qui peut-être confirmait la règle, mais en la bornant, fût-ce d'un seul point d'exclamation ou d'interrogation, de l'intérieur.

La réflexion comme l'analyse ne voulaient ni ne pouvaient s'arrêter à l'apparence (look[s]), à la surface des choses ni à la peau des corps; il leur fallait passer outre, aller plus loin ou plus près, derrière, dedans, par transgression ou viol, pénétration et discrimination, incision et dissection cliniques, autopsie enfin; elles n'avaient de cesse qu'elles n'eussent fixé et arrêté le je(u). Rien n'y résistait que ce qui, n'étant pas ou n'étant rien, cessait de leur offrir une résistance. Arrivé là, il fallait cependant reculer, beaucoup, pour avoir de nouveau quelque chose à voir et à comprendre. "L'homme", collectif, multiple même lorsqu'il est tout seul, bavard jusque dans le silence, interactif jusque dans l'inaction, animal, corporel, physique, animé, mobile, vivant, marchant, courant, sautant, dansant, jusque dans la paralysie ou la captivité de la parole, la fascination de l'image, la mort de la lettre, celui-là n'était pas plus dans l'homme que dehors. 

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11 mars 2014 2 11 /03 /mars /2014 19:24

... ἄλλοι δὲ ἐτυμπανίσθησαν, οὐ προσδεξάμενοι τὴν ἀπολύτρωσιν, ἵνα κρείττονος ἀναστάσεως τύχωσιν: ἕτεροι δὲ ἐμπαιγμῶν καὶ μαστίγων πεῖραν ἔλαβον, ἔτι δὲ δεσμῶν καὶ φυλακῆς: ἐλιθάσθησαν, ἐπρίσθησαν, ἐν φόνῳ μαχαίρης ἀπέθανον, περιῆλθον ἐν μηλωταῖς, ἐν αἰγείοις δέρμασιν, ὑστερούμενοι, θλιβόμενοι, κακουχούμενοι, ὧν οὐκ ἦν ἄξιος κόσμος, ἐπὶ ἐρημίαις πλανώμενοι καὶ ὄρεσιν καὶ σπηλαίοις καὶ ταῖς ὀπαῖς τῆς γῆς.
... mais d'autres furent torturés, sans accepter de rédemption, afin d'accéder à une résurrection meilleure. D'autres subirent l'épreuve des moqueries et du fouet, ainsi que les liens et la prison. Ils furent lapidés, sciés, tués par l'épée; ils menèrent une vie errante, vêtus de peaux de moutons et de peaux de chèvres, manquant de tout, opprimés, maltraités, -- eux dont le monde n'était pas digne ! -- errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes et les antres de la terre..

Difficile aujourd'hui d'évoquer ce passage mémorable de l'épître aux Hébreux (xi, 35b ss) sans songer instantanément à Nietzsche (bien que je ne sache pas, ou ne me souvienne plus, si celui-ci l'a jamais expressément cité ou commenté), tant sa formulation l'inscrit idéalement au "cœur de cible" de la critique nietzschéenne du christianisme (et, loin en amont, du platonisme et du judaïsme post-exilique; et, encore plus loin en aval, des rationalismes moraux et sociaux modernes): nulle part peut-être le renversement axiologique qui met sens dessus dessous (les derniers premiers, etc.) l'ordre, jusque-là et peut-être toujours présumé solidaire, des "valeurs" morales et sociales (les maîtres étant a priori ceux qui en sont dignes, la vertu allant de pair avec la puissance, selon le sens étymologique de la "vertu" et de l'"aristocratie") n'est exprimé de manière aussi provocante. Est-ce parce qu'une limite, d'appartenanceest franchie ? Ce ne sont plus ici seulement les catégories inférieures de la société, qui en font partie intégrante et nombreuse, qui sont promises aux places les plus élevées dans le même ensemble de référence, ou dans un monde à venir qui en serait la réplique améliorée. Ce sont des exclus de la société humaine, littéralement ses forbans, ceux qu'elle rejette hors d'elle-même par le supplice ou par l'exil, qui se révèlent être, hors et au-dessus du monde, des êtres dont le monde (κόσμος) n'aura pas été digne (ἄξιος). Prétention grotesque, emblématique de la revanche imaginaire du ressentiment des faibles et des ratés contre la réalité ordonnée par le jeu de la volonté de puissance, eût dit Nietzsche -- qui d'ailleurs ne trouvera rien d'autre à opposer à ce renversement des valeurs qu'un (autre ?) renversement des valeurs; certes celui-ci ne vaut pas rétablissement de la position initiale -- Hegel et le "travail du négatif" sont passés par là: contre tout ce qui porte en son temps le nom de "progrès" ou peu s'en faut, Nietzsche n'en est pas moins, avec son temps, progressiste -- l'Uebermensch n'est nullement pré-historique. 

Cette formule audacieuse de l'épître aux Hébreux pourrait passer pour une hyperbole sans conséquence si elle ne se trouvait dans l'un des textes les plus "théoriques", et à coup sûr le plus "platonicien" (quoique fort éloigné d'un platonisme "orthodoxe") du Nouveau Testament.  Où le monde réel et historique est au mieux le théâtre d'ombres d'une vérité idéale, suprasensible et immuable (en l'occurrence divine, céleste, invisible, éternelle et dernière), ce que précisément Nietzsche appellera un arrière-monde (Hinterwelt). C'est parce que la "foi" (πίστις, thème et leitmotiv de tout le chapitre et au-delà, de x, 38 à xii, 2) met son sujet en relation immédiate avec une telle "vérité" d'arrière-monde qu'elle en témoigne, au sein même du monde des ombres (v. 2, 4, 39), qu'elle en constitue pour ainsi dire la preuve matérielle (cf. v. 1, dont "l'hypostase" a fait l'objet de tous les contresens modernes: la foi ne repose pas sur des "preuves", elle est la preuve, dans le monde visible, de la vérité suréminente de l'invisible). Elle en témoigne d'autant plus clairement qu'elle ne se traduit par aucun avantage positif dans ce monde (victoire, gloire, pouvoir, richesse, bénédiction, guérison, libération, etc. -- ce que souligne l'extrait cité ci-dessus, par contraste aux cas de foi plus ou moins gagnante qui le précèdent). Idéal, donc, dans cette perspective d'arrière-monde, le sort du martyr (= témoin), et tout spécialement du crucifié chargé du mépris universel, qui, rejeté du monde,  juge et condamne le monde (mieux que Noé, v. 7) en méprisant la honte (αἰσχύνης καταφρονήσας, xii, 2, autre formule qu'eût goûté Nietzsche).

Que reste-t-il, après Nietzsche, d'un tel propos ? Y a-t-il un sens, pour les "exclus" d'un monde dépourvu d'arrière-monde susceptible de fonder leur "dignité" au-dessus du monde, ou ailleurs -- un autre sens que le dépit du renard de La Fontaine faisant d'impuissance vertu devant les raisins inaccessibles ("ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats") -- à (se) dire que le monde n'est pas digne d'eux ? L'étonnant, dirait-on, c'est qu'il y en ait un, toujours le même, et qu'il paraisse plus clair encore en l'absence de toute justification. Nietzsche, du reste, eût probablement été le dernier à en être surpris. L'absence d'arrière-monde qui retire a priori tout point d'appui à qui voudrait faire basculer l'ordre et les valeurs du monde, qui donc empêche en principe toute perspective de rétablissement, de restauration, de justification, de compensation ou de récompense des "perdants", tout recouvrement de leur perte, tout remboursement (a fortiori au centuple) de leur dépense (p. ex. sous forme de résurrection meilleure), purifie le geste même de la perte et de la dépense -- du sacrifice, donc, au moins au sens où nous l'entendons aujourd'hui. A la folle logique de l'ascétisme, de la déchéance volontaire et du martyre, la récompense n'est pas seulement étrangère, elle est à contresens. Dès la description platonicienne du juste crucifié dans La République apparaît ce que relèveront les analyses nietzschéennes du "type psychologique" du Christ, qui discernent en lui un épicurisme renversé, accompli sub specie contraria. Pas de meilleur martyr que le martyr sans cause, pas de meilleur témoin que celui qui ne témoigne de rien. En lui par excellence, si l'on convoque ici un thème heideggerien, se dévoile tout à fait la vérité de la méta-physique, qui est précisément sa nullité (meta ta jusika: ouden). Plus grand que le monde, celui qui sait qu'il n'y a rien de plus grand que le monde, et qui ne peut pour autant cesser de vouloir plus grand que le monde, même si cela coïncide avec la volonté de néant du "dernier homme". Sa dignité -- qui est peut-être en dernière analyse celle de "l'homme", mais alors de "l'homme" en tant qu'il se distingue de "l'homme" -- ne procède d'aucun "monde", d'aucune "réalité": plus radicalement infondée encore que l'Unique de Stirner (ich  hab' mein Sach auf Nichts gestellt), elle est de personne et de nulle part.

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10 mars 2014 1 10 /03 /mars /2014 14:49

Pitié, cruauté : pentes symétriques, versants opposés, adret et ubac de la même com-passion, ou sym-pathie, irréductiblement équivoque. 

-- Réflexion faite en lisant les pages consacrées à Sade dans L'Erotisme de Bataille, qui me semble manquer ou éviter de peu le cœur du "mystère" ou du "scandale" que pourtant il vise précisément : le "sadisme" n'est rien moins (au sens "moderne" de l'expression: non "rien de moins") qu'indifférent à la souffrance d'autrui; celle-ci n'est pas (seulement) le prix exorbitant qu'il sacrifie à sa  jouissance, elle en est l'objet ou la matière même, comme elle l'est symétriquement de la pitié. Commune au deux, la "communion des souffrances" chère au christianisme du crucifié (koinwnia paqhmatwn; societas passionum, traduit -- délicieusement à nos oreilles -- la Vulgate en Philippiens iii, 10, cf. 2 Corinthiens i, 7; communicantes passionibus, en 1 Pierre iv, 13, cf. aussi les variations sur la sym-pathie, sum-pascw, com-patior, en Romains viii, 17; 1 Corinthiens xii, 26 -- de la solidarité organique des membres ou parties du corps dans la souffrance et dans la joie --  Hébreux iv, 15; x, 34; 1 Pierre iii, 8).

Communion non exempte de confusion -- non cependant fusion simplifiante et homogénéisante mais complication d'un entrelacs inextricable: impossible d'y faire une bonne fois la part du bien et du mal, de la bonté et de la méchanceté, comme d'y démêler le plaisir et la douleur, le sacré et l'immonde, soi et autrui. Il suffit de désigner un terme de ces dichotomies non superposables pour qu'apparaisse, en lui, son autre. De qui ai-je pitié ? De l'autre, ou de moi qui me "mets à sa place" ? Ce sentiment est-il désagréable ou agréable ? Pour autant qu'il est agréable, n'est-il pas -- tout comme la cruauté -- jouissance de la souffrance d'autrui, seulement médiatisée par la pitié ? Pour autant qu'il est désagréable, n'est-il pas cruauté contre soi-même, puis pitié sur soi-même, prenant l'autre à ses filets ? Tout jugement (toute critique, toute discrimination) dans cette zone confuse s'avère infiniment hasardeux et surtout provisoire, sujet à renversement, à la merci d'un tour de réflexion supplémentaire.

D'un versant à l'autre le fait demeure, massif, obscur dans sa lumière et brillant dans ses ténèbres: rien ne nous inter-esse autant que la jouissouffrance.

 

 

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8 mars 2014 6 08 /03 /mars /2014 16:46

pas un mot

pas un geste

pas un signe

pas un acte

pas un événement

pas un mouvement

                                    qui ne procède

                                                                d'un déséquilibre

                                       et ne tende

                                                              par-delà l'équilibre

                                                 vers un autre déséquilibre

                                                  -- c'est dire que l'équilibre même

                                                                                          tout immobile

                                                                                              et silencieux qu'il soit

                                                    procède du déséquilibre

                                                       et tend au déséquilibre --

et si la sagesse se plaît

                                                    à l'instant de l'équilibre

elle ne saurait vouloir             pour autant

                                        arrêter 

                                    ni accélérer

                                    ni ralentir 

                                            le mouvement du déséquilibre

                       qui de temps en temps instaure l'équilibre

                                                     pour le renverser aussitôt

c'est pourquoi dans le fond

                           tout en la taquinant gentiment

                                                                        comme sa mère

                                                                   ou comme sa fille

                           elle aime bien                    comme elle est

                                                      la sottise    

                                                                        bruyante

                                                                        bavarde

                                                                        agitée

                                                                         inquiète

                                                                         passionnée

                                                      qui fait si bien la plupart du temps

                                                                                 ce qu'elle a à faire

                                               et ne le ferait sûrement pas si bien 

                                                     si elle se mêlait d'être sage

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  • : Le blog de Narkissos
  • : un peu de rien, un peu de tout, derniers mots inutiles tracés sur le sable, face à la mer
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