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14 décembre 2013 6 14 /12 /décembre /2013 14:20

Se voir refuser -- tel l'obstacle par le cheval ? -- le titre d'"humain" par un "humaniste" (qui plus est bardé de références "anti-humanistes", selon l'esprit du siècle passé: il y a aussi chez les privilégiés de l'échelle éducative un éclectisme de mal-comprenant), voilà une (autre ?) volupté de fin gourmet -- et pas "nouvelle cuisine" pour un sou.

Délicatesse des lynchages: en partance des visages, comme il doit être plus facile de les quitter laids, grimaçants, hurlants, hostiles, cruels, bornés, sarcastiques, amers ou revanchards, bouffis ou macérés de ressentiment, de justice et de bonne conscience, que doux, tendres et surtout intelligents !

Être (un) "être", "étrange" avec ça, avec ce que ça peut comporter d'"être ange et/ou bête" et d'"étranger", de "monstre" en somme (Claude François après Courteline, en passant par Pascal et Camus), plutôt qu'"humain", c'est... étrange sur le coup mais, à la réflexion, pas déplaisant. Pourquoi s'entêter, comme Diogène, à concourir dans la catégorie "homme", quel que soit le concours (qui reste avant et par-dessus tout de circonstances, comme vices et vertus de nécessité), si de plus vos présumés semblables ont la prévenance de vous en dispenser ?

J'aurais donc péché -- par excès de présomption, ou de modestie ? -- en acceptant d'être humain ? Il est vrai qu'en l'écrivant, avant de le dire, je n'en étais qu'à moitié convaincu.

D'ailleurs je crois me souvenir maintenant d'un certain contexte à cette souscription insuffisamment réfléchie. Tu disais, à peu près comme Simone Weil sans le savoir, que tu délaisserais volontiers l'amour de "Dieu" pour l'amour des "hommes"; et moi, contre la culture et l'esprit du temps, malgré toi surtout que j'aimais mais non sans "Dieu", avec "Dieu" contre "Dieu", je confessais, presque honteusement, l'inclination contraire. 

Aveu désavoué, à première vue, par mes (pré-)textes préférés; à première vue seulement:
ἐάν τις εἴπῃ ὅτι Ἀγαπῶ τὸν θεόν, καὶ τὸν ἀδελφὸν αὐτοῦ μισῇ, ψεύστης ἐστίν: γὰρ μὴ ἀγαπῶν τὸν ἀδελφὸν αὐτοῦ ὃν ἑώρακεν, τὸν θεὸν ὃν οὐχ ἑώρακεν οὐ δύναται ἀγαπᾶν. καὶ ταύτην τὴν ἐντολὴν ἔχομεν ἀπ' αὐτοῦ, ἵνα ἀγαπῶν τὸν θεὸν ἀγαπᾷ καὶ τὸν ἀδελφὸν αὐτοῦ.  Πᾶς πιστεύων ὅτι Ἰησοῦς ἐστιν Χριστὸς ἐκ τοῦ θεοῦ γεγέννηται, καὶ πᾶς ἀγαπῶν τὸν γεννήσαντα ἀγαπᾷ [καὶ] τὸν γεγεννημένον ἐξ αὐτοῦ. ἐν τούτῳ γινώσκομεν ὅτι ἀγαπῶμεν τὰ τέκνα τοῦ θεοῦ, ὅταν τὸν θεὸν ἀγαπῶμεν καὶ τὰς ἐντολὰς αὐτοῦ ποιῶμεν. αὕτη γάρ ἐστιν ἀγάπη τοῦ θεοῦ, ἵνα τὰς ἐντολὰς αὐτοῦ τηρῶμεν:  καὶ αἱ ἐντολαὶ αὐτοῦ βαρεῖαι οὐκ εἰσίν, ὅτι πᾶν τὸ γεγεννημένον ἐκ τοῦ θεοῦ νικᾷ τὸν κόσμον: καὶ αὕτη ἐστὶν νίκη νικήσασα τὸν κόσμον, πίστις ἡμῶν.
Si quelqu'un dit, "J'aime Dieu", mais qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère, qu'il a vu, ne peut aimer Dieu, qu'il n'a jamais vu. Or tel est le commandement que nous avons de lui: que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. Quiconque croit que Jésus est le Christ (ou que le Christ est Jésus) est engendré de Dieu, et quiconque aime celui qui engendre aime aussi celui qui est engendré de lui. A cela nous savons que nous aimons les enfants de Dieu, quand nous aimons Dieu et que nous observons (litt. faisonsses commandements; car tel est l'amour de Dieu, que nous gardions ses commandements; et ses commandements ne sont pas pesants, car tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde; et voici la victoire qui a vaincu le monde -- notre foi. (Première épître de saint Jean iv, 20--v, 4).
Le petit côté "chantage" de cette rhétorique n'échappera à personne: qui, croyant "aimer Dieu", ne s'est senti par elle accusé, de mensonge, pour ne pas (assez) aimer ses "frères" ? Preuve, soit dit en passant, que l'amour mutuel -- c'est de celui-là qu'il est question, non de l'amour du "prochain" quel qu'il soit ou de l'"homme" en général, encore moins du "monde" -- n'allait pas de soi comme il aurait dans la société des "engendrés-du-Dieu-amour". Cependant, seule une non-lecture ("humaniste" ou "philanthropique", par exemple) d'un tel texte pourra croire s'y appuyer pour promouvoir un "amour des hommes" qui se passerait, avantageusement de surcroît, de "l'amour de Dieu". Même dans les évangiles synoptiques qui ordonnent -- par ce que j'ai quelquefois appelé un attentat contre l'amour -- "l'amour du prochain" sans discrimination, ou de préférence (par ce qu'on appellerait aujourd'hui, non sans condescendance perverse, "discrimination positive" ?) "des ennemis", la subordination de cet amour à l'amour de Dieu est maintenue, et essentielle. Les deux "plus grands commandements" ont beau être dits semblables, il y a un premier et un second. Et c'est d'ailleurs de l'indiscrimination divine (qui fait lever son soleil sur les bons et les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes) qu'est dérivé, contre tout sens commun de l'amour, le principe d'indiscrimination de l'amour du prochain, ennemis compris sinon préférés.

Converso con el hombre que siempre va conmigo
-- quien habla solo espera hablar a Dios un día --
mi solilioquio es plática con este buen amigo

que me enseño el secreto de la filantropía.
(Je converse avec l'homme qui toujours m'accompagne
-- qui parle seul espère parler à Dieu un jour --
mon soliloque est un entretien avec ce bon ami
qui m'a appris le secret de la philanthropie.
A. Machado, Retrato)

Plus haïssable que le "moi", sans "Dieu", sans la foi ou du moins l'espérance de "Dieu", "l'amour-du-prochain-comme-soi-même".
Quel "petit d'homme", accédant tant soit peu, par le langage, la représentation, le signe graphique, grammatical ou mathématique, à ce "lieu", point, plan ou espace inconditionné, d'abstraction et d'objectivité où "irréalité subjective" et "réalité objective" semblent si parfaitement coïncider, comme "rien" et "tout" respectivement ("irréel", forcément, le point de vue d'où tout "réel", "idéal" compris, apparaît comme tel), ne jetterait pas de là un regard étonné, voire effaré, sur sa "condition" présente, ou plutôt (à cet ac-cès) précédente, pré-cédante ? Qu'une telle position soit "illusoire" ou non ne change rien à l'affaire, tant que l'illusion opère: de là, être, être quelque chose ou quelqu'un, humain homme ou femme, enfant garçon ou fille, nom, prénom, âge et visage, cerveau ou corps, mais aussi bien ange ou bête, arbre ou pierre, nuage ou étoile, a quelque chose, quelque chose précisément, de plus, de trop, de superflu, de contingent, de fortuit, de gratuit, d'accessoire et d'accidentel, de saugrenu, de dérisoire et de risible. "Esprit" par nature ingrat envers toute nature, traître non seulement au monde en général, mais spécifiquement à l'espèce et au genre, au générique et à la génération, à la race, au Geschlecht; (ut deus) non est in genere, Tout petit je n'en revenais pas, dans la "ficelle" de la Croix-Rousse, de tous ces mammifères habillés et assis, lisant, parlant, pensant -- et d'en être ("Je m'étonnais surtout / d'être de ce troupeau", etc.). Une farce assurément, drôle, très drôle, trop drôle dans un sens, quoique pas drôle du tout par moments. Ensuite seulement l'on s'étonne, à constater que les autres ne semblent pas s'en étonner, de cet étonnement même, de ce qu'il recèle d'anormal, de pathologique ou de symptomatique, et d'incurable du fait même de son indéniable vérité. En-deçà de tout jugement (de qui, de quoi ?) sur l'humain, l'étonnement de "l'humain" en soi, ou de soi dans l'humain et par l'humain dans le monde. Etonnement d'être-là (da-sein), encore et pour longtemps sans Heidegger.

Partant de là, sans pouvoir d'ailleurs en partir, la voie théo-logique, promesse douteuse de réconciliation entre l'arbitraire du dieu et l'évidence du verbe, s'imposait malgré toutes les improbabilités circonstancielles. Une impasse bien sûr. Mais la quitter -- pour quoi, ou plutôt pour qui

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