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6 avril 2024 6 06 /04 /avril /2024 12:20

Un guitariste -- talentueux -- dans la rue : la musique ressurgit, neuve, sauve, intacte, des vagues de visages et de noms, prénoms, pronoms où elle s'était abîmée.

Les yeux de pierre des dieux défunts ne sont plus idolâtres: enfin lucides.

Le sourire renaît des facéties d'un souriceau printanier, guère plus inquiet de ma présence que de son avenir. (Souvenir de Nazarín: ¿ Por qué tienen tanto talento los ratones, siendo tan chicos, y a un toro, que es tan grande, se le engaña con un pedazo de trapo ?)

De tant de réussites honteuses, ne devrait s'ensuivre aucune fierté de l'échec, et pourtant...

כִּי־אֶהְיֶה עִמָּךְ -- אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה Je suis, j'ai été, je serai, j'aurai été ce que j'aurai été -- avec toi. Monstre aussi s'il le fallait dans ton théâtre d'ombres.

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5 juillet 2023 3 05 /07 /juillet /2023 10:51

Quand on ne voit plus autour de soi que perles et pourceaux, il est grand temps d'être déchiré; on n'en aura pas moins goûté le spectacle, et c'est encore pour les seconds qu'on gardera le plus de tendresse.

L'intellection, mirage des sens, n'est pas une demeure habitable, mais le risque abrupt et la chance escarpée de l'éclair et de la transfiguration, l'espace d'un instant où il n'y a plus ni soi ni autre, ni visage ni paysage.

Quelque reconnaissance qu'on en ait, nul ne pardonnerait à quiconque de l'avoir, en l'appelant ou en l'interpellant, rappelé à lui-même.

Vouloir être dieu, c'est encore manquer d'ambition.

De l'inconvénient d'être soi, l'unique avantage serait de n'avoir jamais affaire à soi comme à un autre.

Duplicité et imposture foncières de l'autonomie, de l'autarcie, de l'encratisme: qui légiférerait pour qui, qui suffirait à qui, qui maîtriserait qui ?

L'être -- tout être -- diffère parce qu'il rayonne et résonne, résonne et rayonne parce qu'il diffère de lui-même, en plus d'un sens; sans ténèbres pas de lumière, sans silence pas de son, et inversement, mais cela ne fera jamais une équivalence, ni une symétrie, ni une indifférence.

L'extinction des sens, tels la mer ou le jour en leur retrait, laisse un savoir qui ne se distingue plus de l'être, un et infiniment divers: Héraclite et Parménide morts de rire sur la plage désertée.

Quoi de plus con que d'être contre, sinon d'être pour ?

Années de malheur, heures de bonheur, minutes d'effroi, frissons de joie. (Cherchez l'erreur.)

Rien ne justifierait autant le pessimisme que l'optimisme -- et inversement, hélas.

Tout le monde sait qu'il va mourir, et personne ne le sait; de fait chacun mourra et nul n'est jamais mort. Mais c'est justement celui qui le sait qui ne meurt pas et celui qui ne le sait pas qui meurt.

Tous les chemins mènent à mort -- où personne n'arrive.

La conscience est le comble et la condition même de l'illusion.

De l'oeuvre ou de la vie la plus riche, comme de la plus indigente, on ne retiendrait que quelques traits, phrases, séquences, passages, enchaînements, qui détachés les uns des autres poursuivent leur course erratique, tout seuls ou combinés à d'autres, en tout cas méconnaissables. Retombe dans le secret, ou dans l'oubli, la forme unique qu'ils dessinaient ensemble, dans un ultime regard en arrière, au bout du chemin qu'ils avaient tracé.

Tant qu'il y a des moutons, il y aura des chiens et des loups; dussent bien des chiens redevenir loups.

Toute l'intelligence du monde dans une goutte d'eau qui trouve sûrement son chemin vers le ruisseau, la rivière, le fleuve, le lac, la mer ou la source.

Une bulle en crevant jamais n'abolira l'océan.

Entre le rien et le mal il n'y a jamais eu le moindre choix.

On ne quitte pas l'humanité, pas même les pieds devant; on ne ferait que la prolonger ou l'élargir, l'élever ou l'approfondir, sans cesser de l'appesantir.

Toute oeuvre digne de ce nom est posthume et anonyme, fût-ce sous un nom propre et illustre; ainsi le veut le secret, ou la discrétion, de sa propriété.

Le nombre à lui seul a changé le signe, retourné le positif en négatif et le négatif en positif, le bien en mal et le mal en bien, dans le dos de tous les discoureurs, qui seront les derniers à s'en apercevoir.

Les mots aussi retombent en poussière, et tous les discours retournent au silence, qui ne se demande même pas s'il en serait changé.

Ecriture des morts, plus vivante que la parole des vivants.

Je te suis, tu m'es.

Âme animale et nue, hurlements, gémissements, halètements, silence enfin de chien perdu, sans la voix de l'enfant.

Désir et plaisir diurnes de croire savoir et comprendre, contre la vérité obscure qui chaque nuit fait craquer combles, caves, planchers, plafonds, portes, volets et couloirs.

One is a crowd.

L'on ou l'ombre de l'un.

Bonne ou mauvaise nouvelle ? L'enfer est supportable.

La mort et la vie éternelle(s) sont encore synonymes en ceci qu'elles libèrent, délivrent ou dégagent de l'avenir -- jusque dans l'ambiguïté abyssale d'une telle syntaxe.

Au bonheur et au malheur le nombre n'ajoute ni ne soustrait, ne multiplie ni ne divise.

Mon amour              masculin féminin singulier innombrable
                     perdu
                     brisé
                     arraché
                     disloqué
                     dispersé
                     piétiné
                     enfoui
                     oublié
                                 retrouvé
                                                un
                                                sauf
                                                vivant
                                                intact
                                                intègre
                                                indemne

Tout est vanité : tout est grâce.
Tout est faux : tout est vrai.
Tout est souffrance : tout est joie.

De toutes ses larmes,
                                  de peine,
                                  de chagrin,
                                  de douleur, 
                                  de dépit,
                                  de rage,
                                  de rire,
                                  de joie,
                                  de crocodile
la mer a recouvert l'ultime crête : adieu la part des choses.

Un monologue est encore un dialogue de sourds.

                   
                    
 

 

 

 

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13 décembre 2022 2 13 /12 /décembre /2022 21:58

neige prévenante

cristaux de grâce sous mes pas

douce, brûlante, impassible merci

d'avance recouvertes arêtes et crevasses

de toutes les débâcles du nom et de son nombre

monts d'or chavanne rosière malte têto narayama

 

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14 octobre 2022 5 14 /10 /octobre /2022 11:57

Autant pour moi, aux temps pour nous, je vous aime

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14 mai 2022 6 14 /05 /mai /2022 22:26

Doudou, mon chat...

Je te revois tout petit, dans ma chambre où tu étais né, avec la peau du ventre un rien flottante; puis devenu le plus grand, le plus affectueux aussi, de la portée de Patchou la fière, miraculeusement sauve dans cette enclave de déraison que fut, un temps, notre maison. Et je t'entends encore tout à l'heure, miaulant de douleur au téléphone, m'as-tu entendu qui t'appelais comme toujours par-delà les kilomètres et les années, Doudou mon chat...

On t'avait curieusement baptisé Ivri, d'une rhapsodie pour harpe, dite Ivria pour hébraïque, oubliée bien avant toi; hébreu non circoncis mais finalement castré parce que tu revenais trop souvent blessé de tes bagarres, avant de te faire fin racketteur, volant les proies de tes confrères. Tu avais imposé ton surnom, un rien pataud mais si gentil, avec tes baisers sans pareils, tes babines frottées sur nos lèvres.

Tu disparaissais longtemps parfois, nous te cherchions et t'appelions en vain, mais tu revenais un beau jour, nous enseignant l'espérance par la seule méthode qui vaille, le désespoir. Tu ne reviendras plus mais je te reviens vite, je te le jure comme David roi, poète et harpiste à son fils frappé pour la faute de son père, par son dieu dont la justice tautologique est aussi bien grâce. A toi et à tous les autres, Nounou, Petimaron, Patapon, Bandit, Gris-Gris, Minette qui t'avait aussi allaité avec Castor et Pollux, et tous ceux qui vont périr un jour parce qu'ils sont nés un jour.

En attendant je te pleure comme je pleure toutes choses, dieux, hommes et femmes, vieillards et enfants, animaux et arbres, montagnes, collines, fleuves, nuages, étoiles: comme je t'aime.

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11 mars 2022 5 11 /03 /mars /2022 11:07

Avant de reposer pour de bon ce je imbécile, abîmé, infirme, épuisé, disloqué, tant de fois déposé une fois pour toutes et relevé quand même, comme par-devers soi l'ombre -- non sans doute où je l'ai pris et repris, mais pas très loin non plus, sans pouvoir le restituer aux innombrables à qui je l'ai emprunté ni le reprendre à qui je l'ai donné ou prêté, ou à qui me l'a dérobé, à notre insu commun ou non, à qui rendrais-je compte de ce que j'en ai fait, avec, sans, contre tant d'autres ? A vous, à toi, à toutes, à tous, à personne, à mon dieu en somme, tel qu'il se dégagerait alors de moi et s'en reposerait lui-même, s'il avait un soi-même, ce que je ne lui souhaite pas, de cette possession abusive et tenace jusque dans l'abandon, la trahison, la désertion: je ne tenais qu'à lui, je ne tenais qu'à toi, je ne tenais qu'à vous, ma confusion nous confond dans le même je t'aime, je nous hais, je vous emmerde, je vous suis comme vous m'êtes et me suivez, tous ces premiers et derniers mots que chacun aura un jour ou l'autre faits siens, sans d'ailleurs en frustrer quiconque, avant de les lâcher.

De ce, celles et ceux dont j'ai vécu je meurs, comme tout le monde.

Quant à vous qui aussi dites je, avec plus ou moins de candeur ou d'embarras, sans savoir plus que moi d'où cela vous vient ni où cela vous mène ni comment cela vous va, vous ne saurez pas non plus ce que je vous aurai donné, quand même je ne vous aurais jamais rendu ce que je vous devais. Que je murmure les noms ou prénoms des vivants et des morts, des proches et des lointains, je les trahirais encore à les écrire, par un semblant d'ordre ou de désordre.

Je suis solidaire, c'est entendu, de toutes les folies, de toutes les bêtises, de tous les crimes, de toutes les infamies de tous les lieux et de tous les temps, horreurs et merveilles, présentes, passées, futures, mais cela ne me dispense pas d'une tentative ou d'une tentation d'explication posthume.

Je crus d'abord naïvement, nativement, à ce moi traqué, cerné, assiégé, obsédé, sollicité, suscité et ressuscité de regards et de visages, de mains et de voix, de caresses et de coups, de signes et d'injonctions, de questions et de réponses, qui faisait de toute évidence énigme. Etrangeté de soi et du propre comme de l'autre ou du sale, du corps et du miroir, du père et de la mère (j'avais écrit l'amère), des noms, des prénoms et des pronoms, d'une langue, d'un lieu et d'un milieu, d'un temps et d'une histoire, des mots et des choses, animales, végétales, minérales, astrales, idéales, morales. J'appris le mensonge avec la vérité et tous leurs subterfuges, et la honte et la peur de leur jeu qui était déjà depuis toujours le mien. Capté d'avance au plaisir compulsif des cinq sens et des sept orifices, captif de toute promesse et de toute menace, et par-dessus tout des moins tangibles et des plus abyssales, amour désamour. (Des rares souvenirs de la petite enfance, j'entends encore mon père en colère me dire "Je ne t'aime plus" et moi hurler sans fin "Aime-moi !")

Rien que de commun, rien de commun pourtant avec un autre moi indifféremment traduit d'une autre bouche, d'une autre langue, d'une autre race, d'une autre terre, d'une autre époque, d'une autre culture, d'une autre classe, d'une autre famille, d'une autre génération, lointaine ou proche: distance incommensurable, indifférente à la mesure comme à la comparaison. Tout autre, tout autre, quand l'écart ne serait qu'infime pli du même, et de point de vue sur le même.

Misère de l'existence, immensité de l'extase, exil et abstraction de soi dans toute l'ambiguïté du génitif et de l'ablatif. Règle d'inverse proportion, universelle et sérielle, chaque coup de dés ou du sort relançant la course d'une séquence unique de passages et de perspectives, à toutes semblable, à nulle autre pareille.

Répétition du malheur sans retour, rabâchage et ressassement de l'irréversible, de l'irréparable -- jusqu'à ce que la tristesse sans fond ni fin qu'on ne cherche plus à éviter ni à abréger se change en joie folle, absurde, inexplicable.

 

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4 janvier 2022 2 04 /01 /janvier /2022 09:11

Maurizio Manco, l'ami florentin que je ne présente plus (on retrouvera nombre de ses aphorismes dans la rubrique intitulée "Pages", à droite de l'écran), a bien voulu me communiquer un recueil de sa production de l'année dernière (2021) -- millésime rare et de grande qualité. J'en traduis ci-après, avec son aide sinon sous son contrôle, une sélection (tout n'est malheureusement pas traduisible, en particulier les jeux de mots; et tel aphorisme "original" dans une langue donnée se trouve être un lieu commun, voire un proverbe dans une autre, même voisine, ce qui est déjà en soi un sujet de méditation):

 

Le pessimisme, c’est l’autodéfense des désillusions.

 

C’est la croyance des hommes qui maintient les dieux en vie.

 

Faire la révolution depuis son canapé, c’est allier l’avantage du confort à la vertu de l’inefficacité.

 

Nous sommes faits de la même distance que les rêves.

 

Au temps d’Esope les animaux parlaient; depuis, ils sont devenus sages.

 

La tentation de décomprendre ce qu’on a compris.

 

La vie est une longue préface à l’oubli.

 

Les héros sans point faible sont antipathiques.

 

Considérer toute occasion comme une menace pour son oisiveté.

 

Je suis pragmagmatique.

 

La pensée est un diaphragme, où clarté et profondeur sont inversement proportionnelles.
Le défi consiste à l’ouvrir ou à le fermer tour à tour, juste ce qu’il faut pour obtenir l’effet voulu.

 

Le dernier acte de l’humanité consistera à filmer l’apocalypse avec des milliards de smartphones.

 

La litote est une forme retorse d’ostentation.

 

Ne regarde pas le drapeau, mais le porte-drapeau.

 

La matière est la condensation de la terreur du néant.

 

Parler la même langue, c’est multiplier les occasions de méprise.

 

Mieux vaut ne pas connaître l’animal dont on mange la chair, ni l’écrivain dont on le lit le livre.

 

Le silence est le bruit de l’imperceptible décomposition de toutes choses.

 

Le suicide est une lâcheté courageuse.

 

Dans un discours, « Je m’explique » est souvent le préambule à une obscurité supplémentaire.

 

Un trauma nommé désir.

 

Il y a des esprits dont les seules fenêtres donnent sur la cour.

 

Il est en nous des terres inconnues, à explorer avec prudence : ibi sunt leones.

 

Une grande œuvre enseigne à la regarder. Mais la leçon est différente pour chacun.

 

Je veux tout, et je doute.

 

Si le bousier avait sa propre taxonomie, il appellerait son espèce Geotrupes sapiens sapiens.

 

La réalité est l’hallucination qui rallie une certaine unanimité.

 

Primum bibere, deinde philosophari.

 

Le couchant sait ce que l’aube ignore.

 

Trop vrai pour être beau.

 

Combien sont morts au nom de dieux qui n’existent plus ?

 

Je lutte pour une juste pause.

 

Si la vie a un sens, ce n’est sûrement pas celui du tact.

 

L’aspirateur est le symbole parfait de l’inanité de tout effort humain.

 

Une seule façon de naître, d’innombrables façons de mourir : la mort est indubitablement plus créative.

 

L’urne funéraire où finissent les cendres a sensiblement la même capacité que l’utérus : il y a là une certaine logique circulaire.

 

On peut tout dire du grand théâtre du monde, sauf que ses affiches soient ternes.

 

Certaines lectures sont un poison balsamique.

 

Il est significatif que la vie commence par une expulsion.

 

Un respect apparent peut être un mépris silencieux.

 

L’éternité est une maladie du temps.

 

Trouvant trop difficile de se changer eux-mêmes, ils préfèrent changer le monde.

 

Le pouvoir convaincu d’être reçu d’en haut est le plus dangereux.

 

La sensibilité à la flatterie est un symptôme de médiocrité.

 

Les explications mathématiques du monde en laissent l’énigme intacte.

 

Compulsion mystérieuse qui nous pousse presque irrésistiblement à arracher les croûtes d’une plaie, en sachant très bien qu’elle va de nouveau saigner.

 

Un paysage est enchanteur aussi longtemps qu’on n’a pas chaud, froid ou faim.

 

La littérature, contrairement à la vie, ne supporte pas les répétitions.

 

Pour un aphorisme qui devient grand, beaucoup sont étouffés dans le berceau.

 

Du caviar on ne jette rien.

 

Un conservateur est quelqu’un qui a des valeurs à défendre -- en banque le plus souvent.

 

Tous les problèmes existentiels ont une origine commune : l’existence.

 

Tel est le destin des temples, que changent les dieux qu’on y adore.

 

De toute évidence, l’homo sapiens sapiens se surestime.

 

La croissance est un retrait progressif des illusions sur le monde.

 

On ne saurait réfuter par la logique des convictions qui se sont formées sans elle.

 

La vie est une roue. Dentée.

 

La nature ne se hâte pas de congédier l’homme, elle lui laisse le temps de voir croître et mûrir ses erreurs.

 

La vieillesse est le processus par lequel nos organes vitaux se transforment en organes mortels.

 

La vie nous veut morts.

 

La vie est une broderie sur la toile du néant.

 

Les religions, ces contes pour adultes qui finiraient bien.

 

Pour le martyr, sa cause est toujours la bonne.

 

S’en aller avec l’élégance d’une feuille qui tombe en planant.

 

La fiction a atteint un niveau de réalisme inaccessible à la réalité.

 

La vie est un cadeau : on en a effacé le prix.

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3 décembre 2021 5 03 /12 /décembre /2021 12:36

Solitude solaire, l'amour défunt rayonne encore, sans sujet ni objet ni obstacle, à perte d'autre et de soi.

Jouissant peut-être, à la limite s'il y en avait une, et là même sans perversité -- ce serait en toute direction le chemin le plus droit -- de se rendre détestable.

Le sublime est une perversion comme une autre, nécessaire à sa place, avec et contre les autres, dans la série sans commencement ni fin des versions et diversions, traductions, traditions et trahisons, tours, détours et contours, courbes, virages et voltes, volutes et arabesques, plis, replis et déplis de l'un différant plus ou moins patiemment de soi-même.

λόγος : σταυρός ( λόγος... τοῦ σταυροῦ, 1 Corinthiens i, 18, génitif épexégétique ?) : au moindre commencement un dieu y trouverait déjà sa croix.

De proche en proche, le plus infime regret reconduit au repentir océanocosmique des dieux, inutile déluge de larmes des lendemains de création.

Si la conscience est un accident regrettable, elle seule peut le regretter.

Reste, à écrire sans être lu, un peu du plaisir enfantin de voir sans être vu, tout en sachant qu'on pourrait l'être.

Nul avenir ne sied mieux à quiconque que l'oubli, hors d'atteinte de toute mémoire, gloire ou infamie posthumes, quand celles-ci longtemps encore invoqueraient le nom et exhiberaient l'effigie, reproduisant même indéfiniment désormais les visages et les expressions, les voix et les gestes. Être oublié de son vivant serait à cet égard le seul et mince avantage -- avance discrète, modeste et provisoire, d'ailleurs largement octroyée. Crédit gratuit en somme, dont peu savent néanmoins profiter.

De toutes les excrétions du corps, le moi jouit d'un privilège exorbitant -- ce n'est pourtant pas la moins puante.

Se croire quelqu'un, passage obligé -- pour un Dieu comme pour n'importe qui -- entre n'être personne et le savoir.

Le principal défaut des extrêmes, c'est de conforter et d'engraisser un centre.

Les changements d'opinion valent mieux que les opinions, celles d'après comme celles d'avant.

Point de vue sans point de vue, mais le supplément d'illusion qu'y apporte la sensation d'un déplacement est bien ressenti comme surcroît de conscience, dont se parera indûment la prochaine station, jusqu'à ce qu'on l'ait à son tour quittée.

Reconnaître l'histoire et le sens de l'histoire, de l'autobiographie à la cosmogonie en passant par toute sorte de fiction, ce n'est pas forcément une reconnaissance au sens de gratitude ou d'agrément, pas non plus un ressentiment, fût-ce sous l'espèce retorse du repentir; encore moins l'indication d'une direction à suivre, poursuite, prolongement ou accomplissement, retour ou écart. Possible et/ou impossible, ce ne le serait que de l'intérieur de l'histoire, toujours la même jusqu'aux pointes de ses racines et de ses ramifications, si l'on pouvait parler d'intérieur sans extérieur -- mais dans ce cas indépendamment de la place qu'on y occupe. Un dernier homme, qu'on se le figure seul, nu, amnésique et aphasique dans sa grotte ou interconnecté par milliards d'exemplaires en réseau social et en temps réel, n'en serait pas moins tributaire et redevable de tout, horreurs et merveilles naturelles et culturelles de tous les temps, connues ou inconnues, passées et futures, comprises ou non comme telles -- au même titre que n'importe quel protagoniste de quelque péripétie remarquable en amont, héros, dieu ou monstre en pleine action, passion ou exaction, à la merci de la postérité comme de sa provenance et des circonstances.

καὶ ἄφες ἡμῖν τὰ ὀφειλήματα ἡμῶν,
ὡς καὶ ἡμεῖς ἀφήκαμεν τοῖς ὀφειλέταις ἡμῶν
laisse(-nous) filer nos dettes et nos devoirs,
comme nous aussi nous avons laissé filer nos débiteurs.

Le fond de vérité de l'interdit d'interdire, c'est l'impossibilité d'exclure qui est l'infirmité congénitale de l'histoire même, dans toute sa métonymie. Ni monstre, ni fou, ni criminel, ni minable ni raté, ni renégat ni traître, ni déserteur ni réfractaire, ni révolutionnaire ni réactionnaire, ni tyran ni terroriste, ni héros ni méchant, ni dieu ni diable, ni ange ni démon n'en saurait être éliminé, d'autant moins qu'il marque provisoirement la limite qui détermine la forme de l'ensemble. Qu'on le tue, qu'on le brûle ou qu'on l'enterre, qu'on l'enferme, qu'on le réduise au silence ou à l'invisibilité, rien n'y fait: à cet égard la disparition effective du bannissement, pour cause de mondialisation et de saturation du monde, ne fait que souligner d'une redondance supplémentaire la tautologie générale.

La tristesse sait sa fin, quand elle ne la connaîtrait ou ne la rencontrerait jamais: ce savoir n'est pas sa joie, mais la fenêtre ou la brèche d'où la grâce d'une joie (χαρᾶς χάρις) lui arrive quelquefois, telle l'éclaircie dorée du couchant, Dieu sait comment.

De la mort même, dernière idole, faire son deuil.

 

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 12:54

Effets locaux de raison illusoire dans la folie générale, de régularité trompeuse dans la singularité universelle, qui ne se nommerait même pas, ni ainsi ni autrement, sans l'erreur qui fait perspective.

Dieu fou à lier, et devant, derrière, tout autour, le logos lecteur et licteur, toujours déjà là pour le traquer et le cerner, l'appréhender et l'arraisonner, le traîner ou le traduire en justice et en vérité; toujours en retard pourtant d'une livraison, d'une traduction et d'une trahison, d'une comparution sur l'apparition, d'une irruption sur l'éruption, l'émission ou l'émanation, d'une ligature ou d'une lecture sur le délire.

C'est à celui-là quand même, deus nudus, dieu nu,, poète, sauvage, ainsi seulement sauf et sauveur, que nous aurions affaire en dernière comme en première instance, au-delà comme en-deçà des médiations de l'autre, celui-ci fût-il son empreinte, son ombre ou son reflet fidèle, par là même son exact contraire.

Jusqu'à la confusion du nous dans le nu (qui n'y laisserait pas même un os).

Doué pour les langues,, paraît-il, il aurait récité, ou bégayé, la maternelle devant le père et inversement, puis, au hasard, le sectaire ou le gauchiste, le chrétien ou l'humaniste, l'anarchiste ou le nihiliste, jusqu'à épuisement de tout milieu locuteur ou auditeur: quitte à (ne) parler de rien, et pour ne rien dire, au bord du silence, autant que ce ne fût plus à personne, sinon en ces langues défuntes que seuls les morts entendent.

Tout t'a été donné: à toi d'en déduire si tout t'était dû ou si tu devais tout donner -- alternative ou alternance -- et personne pour te donner raison ou tort.

Nul jugement si impitoyable que l'absence de jugement -- elle aussi préalable à la grâce, sans contradiction, ni paradoxe ni dialectique, insoutenable dans sa droiture et sa simplicité: c'est justement parce qu'en ne disant rien elle seule dirait vrai qu'on ne saurait la croire.

Le jugement des autres serait insupportable, s'il n'offrait quelquefois l'occasion d'échapper au jugement des uns.

Toujours trop tôt et trop tard pour dire adieu, jamais pour l'écrire, ni pour le lire.

Adieu donc les mots et les choses, les voix, les visages et les corps, les noms, prénoms, pronoms, toi et moi, lui ou elle, nous et vous, elles ou eux; les animaux, les arbres, les rochers, les collines et les montagnes, les torrents, les rivières et la mer, le vent, la pluie, la neige, les nuages, le soleil, la lune et les étoiles, l'espace et le temps, le jour et la nuit, la musique et le silence, la lumière et les ténèbres, les formes et les couleurs; adieu les dieux et les diables, la vie et la mort, le bon et le mauvais, l'amour et la haine, la peur et le désir, la peine et la joie, adieu les adieux à jamais, depuis toujours.

Où la bénédiction l'emportera toujours, et de justesse et par surprise, sur la malédiction -- même à qui tu enverrais et de qui t'enverrait au diable.

Tu avais aimé la désespérance -- le mot, échappé de sa phrase, l'espace et le temps de quelques pirouettes charmantes à tes yeux émerveillés, avant d'y reprendre sagement sa place: je te cueille aujourd'hui le nonchaloir, la désinvolture, l'insouciance, la désobéissance.

(Le référent change et ne change pas, pas plus d'un tu que d'un je à l'autre et à la fois -- deuxième personne comme la première, réfractaire au nombre comme au genre, à l'ordinal comme au cardinal. Par quoi j'ignore ce qui nous arrive en ce moment même, de la nuit des temps et des crépuscules à venir en tant de corps et d'âmes, contrepoint, contrepoids, contrechamp et contrechant infinis de chaque joie ou peine connue, et finie.)

 

 

 

 

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2 novembre 2021 2 02 /11 /novembre /2021 09:37

Le hasard de l'accès aux médiathèques par temps de "pass(e) sanitaire" est parfois l'occasion de belles découvertes: ainsi le Capharnaüm de Nadine Labaki (2018) dans un champ de navets (coffret Gaumont n° 10), que je n'aurais probablement jamais regardé sans cela, et dont je m'aperçois après coup qu'il a, comme on dit, profondément divisé la critique (du Prix du Jury au festival de Cannes à l'insupportable mélo misérabiliste): on aime ou on n'aime pas pleurer au cinéma (fût-ce devant un vieil écran vidéo).

Peut-être autant que le jeu et la direction des enfants acteurs, exceptionnellement efficaces, l'invraisemblance de l'argument participe de l'émotion: difficile, d'ici, de savoir ce qui relève de la caricature et de la réalité dans la peinture de la société libanaise, des bas-fonds des sans-papiers au tribunal présidé par Elias Khoury, avec la réalisatrice dans le rôle de l'avocate du plaignant. Autant d'audace que de naïveté, de justesse que d'injustice, dans la teneur radicale et banale de la plainte: un enfant accusant ses parents de lui avoir donné le jour, c'est courant dans un for intérieur ou semi-privé, du cadre familial aux réseaux sociaux de l'"Occident moderne", c'est impensable dans la justice d'un "Orient traditionnel", mais ça devient représentable dans la fiction d'un monde aux confins des deux modèles, qui ne saurait toutefois éviter l'évitement d'un verdict.

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