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15 janvier 2015 4 15 /01 /janvier /2015 23:02

"martyr" (http://oudenologia.over-blog.com/article-martyre-c-est-pour-rire-un-peu-125369056.html  

--> Joan Manuel Serrat: https://www.youtube.com/watch?v=PnOPr7q_-Vg  
Profeta ni mártir quiso Antonio ser 
Y un poco de todo lo fue sin querer. 

--> 

Y viejo, y cansado, a orillas del mar

Bebióse sorbo a sorbo su pasado.

-->

ce récit qui me marqua (celle qui me le fit se reconnaîtra peut-être) d'un vieux Catalan qui, sensiblement au même endroit, restait des heures devant la mer pour "penser", et finissait par avouer qu'il ne "pensait" même pas.

-->

cette idée, notamment hébraïque, du passé devant soi (encore: http://oudenologia.over-blog.com/article-la-paix-des-morts-125370879.html ).

-->

Machado à nouveau:

Al andar se hace camino
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.

http://oudenologia.over-blog.com/article-y-al-volver-la-vista-atras-54899025.html

-->

face à la mer, face à la mort miroir, ce n'est ni l'au-delà ni l'avenir mais le passé seul que je vois, enfin accompli, parfait, intangible et impérissable, au moment même où il va se défaire, ce qui ne me regarde plus; enfin dégagé, relevé, démis de cet avenir qui ne me paraissait insupportable que parce qu'il ne se savait pas encore passé.

-->

l'avenir du passé: réinscription du passé dans l'avenir sans doute, quoique sur un mode partitif: passé décomposé pour entrer, à l'avenir, en recomposition; mais aussi, pour chacun, pour chaque chose contituée et définie, nul autre avenir que d'être passé, d'avoir été, jusque dans la décomposition et dans la recomposition. http://oudenologia.over-blog.com/article-decomposition-sympathique-41408100.html

-->

en quoi le dernier homme ne sera peut-être pas, à son dernier moment, dans une autre posture que n'importe quel homme, à son dernier moment. http://oudenologia.over-blog.com/article-article-sans-titre-108123829.html

 

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13 janvier 2015 2 13 /01 /janvier /2015 11:30

וַיֹּ֤אמֶר שְׁמוּאֵל֙ אֶל־שָׁא֔וּל לָ֥מָּה הִרְגַּזְתַּ֖נִי לְהַעֲלֹ֣ות אֹתִ֑י
Et Samuel dit à Saül: pourquoi m'as-tu dérangé en me faisant remonter ? (1 Samuel, xxviii, 15).

 

Effet comique, peu remarqué quoique remarquable, dans l'ambiance crépusculaire, spectrale et sépulcrale (gloomy, spooky, creepy) de cet unique récit biblique de nécromancie -- pratique proscrite rétroactivement par la Torah au nom d'une unité nationale et religieuse tardive (un seul dieu, un seul sanctuaire, un seul oracle), comme ne manque pas de le rappeler un rédacteur passablement embarrassé (v. 3b, 9). Première et dernière entrevue entre deux trépas, de part et d'autre d'une mort encore un peu transparente, qui ne s'est pas tout à fait refermée sur l'opacité définitive du miroir, pour un couple tragique: le prêtre-prophète Samuel (Shemou-'El), fraîchement décédé (v. 3a) et promu par le bas, comme tout le monde peut-être, de la plus banale des apothéoses chthoniennes, au rang d'esprit ancestral (אֹ֔וב, v. 8), voire de divinité infernale (אֱלֹהִ֥ים רָאִ֖יתִי עֹלִ֥ים מִן־הָאָֽרֶץ, v. 13); et le roi Saül (Sha'oul), encore vivant mais pas pour longtemps (v. 19). Ces deux-là, tout les lie l'un à l'autre, et à la mort, depuis toujours: dès le récit d'annonciation de la nativité de Samuel qui inspirera celui de saint Luc, le nom du prophète est étrangement expliqué par la racine š'l (i, 20), régulièrement associée plus loin et plus naturellement au nom du roi; verbe de la question, de l'investigation, de l'interrogation notamment divinatoire, et par extension de la requête: Saül sera le roi demandé par le peuple à Samuel, requis contre son gré, contre celui du prophète et du dieu, qui n'en finira plus d'interroger en vain dieu et prophète face à un sort résolument adverse; son nom s'écrit comme le she'ol, ce "séjour des morts" ou monde souterrain (underworld, netherworld) que les mortels évoquent pour l'interroger, et qui à son tour les convoque tous d'une réquisition sans appel.

 

Toujours est-il qu'ici le mort n'a pas l'air content du tout d'être dérangé, troublé, agité, rgz. Nous sommes en ce temps où les dieux du ciel, souvent taquins et parfois cruels, laissent généralement les morts en paix. Leur règne s'arrête à la surface de la terre des vivants. Ils n'ont pas poussé le vice et le mauvais goût jusqu'à prétendre ressusciter les morts, fût-ce sous prétexte de les juger. Pour faire parler ceux-ci, les mortels doivent communiquer avec le monde souterrain par l'intermédiaire d'un "medium", fonction qui paraît normalement féminine ( בַּעֲלַת־אֹ֔וב, maîtresse d'esprit-ancestral): ce qui semble également aller de soi dans le récit, c'est d'une part que l'opération soit possible, d'autre part que les ombres des défunts disposent d'un savoir sur l'avenir des vivants (ce que niera Qohéleth dans son opposition aux nouvelles lumières de certaines sections du judaïsme de son temps sur la résurrection et l'au-delà). Ils savent, naturellement (ou plutôt sous-naturellement que surnaturellement) ce que voudraient bien savoir les mortels qui ont encore du temps devant eux (ou plutôt derrière, selon la correspondance spatio-temporelle dominante de l'hébreu: devant-avant, derrière-après); mais cela, manifestement, ne les intéresse guère, et pour les faire parler, il faut les faire monter, ce qui requiert tout un art (plutôt féminin, donc) de contrainte ou de persuasion. Car ce petit jeu, visiblement, ne les amuse pas. Le défunt Samuel ainsi évoqué ne parlera plus en qualité de prophète de Yahvé, il en a fini avec cette fonction (de la démission et du congé dans la mort: nunc dimittis, domine, servum tuum); et malgré sa mauvaise humeur il dit ce qu'il sait: demain, toi et tes fils, vous serez avec moi (v. 19). Synchronisation abyssale du temps des vivants, vu d'en-dessous.

 

L'idée que les mortels se faisaient du "séjour des morts" n'était certes pas folichonne; il est d'autant plus remarquable que ses habitants n'aient nulle envie d'en être dérangés. La sagesse des mortels trouve sa limite dans l'indifférence de la mort et de la vie (Thalès, etc.). Seule la mort, de son point de vue, avec ses yeux à elle, peut se juger préférable. De la part d'un vivant, un tel jugement est pour le moins anticipé -- jugement hâtif le plus souvent, parole vaine appelant encore son jugement, mais parfois, pour qui connaît l'inconvénient d'être né, anticipation poétique, d'une inspiration littéralement infernale, ce qui peut d'ailleurs s'entendre dans le sens le plus paisible qui soit.   

 

On relira, doucement, la première complainte de Job (chapitre iii, 13ss): nulle part peut-être, dans la Bible en tout cas, la mort n'aura paru si douce.

כִּֽי־עַ֭תָּה שָׁכַ֣בְתִּי וְאֶשְׁקֹ֑וט יָ֝שַׁ֗נְתִּי אָ֤ז׀ יָנ֬וּחַֽ לִֽי׃
עִם־מְ֭לָכִים וְיֹ֣עֲצֵי אָ֑רֶץ הַבֹּנִ֖ים חֳרָבֹ֣ות לָֽמֹו׃
אֹ֣ו עִם־שָׂ֭רִים זָהָ֣ב לָהֶ֑ם הַֽמְמַלְאִ֖ים בָּתֵּיהֶ֣ם כָּֽסֶף׃
אֹ֤ו כְנֵ֣פֶל טָ֭מוּן לֹ֣א אֶהְיֶ֑ה כְּ֝עֹלְלִ֗ים לֹא־רָ֥אוּ אֹֽור׃
שָׁ֣ם רְ֭שָׁעִים חָ֣דְלוּ רֹ֑גֶז וְשָׁ֥ם יָ֝נ֗וּחוּ יְגִ֣יעֵי כֹֽחַ׃
יַ֭חַד אֲסִירִ֣ים שַׁאֲנָ֑נוּ לֹ֥א שָׁ֝מְע֗וּ קֹ֣ול נֹגֵֽשׂ׃
קָטֹ֣ן וְ֭גָדֹול שָׁ֣ם ה֑וּא וְ֝עֶ֗בֶד חָפְשִׁ֥י מֵאֲדֹנָֽיו׃
לָ֤מָּה יִתֵּ֣ן לְעָמֵ֣ל אֹ֑ור וְ֝חַיִּ֗ים לְמָ֣רֵי נָֽפֶשׁ׃
הַֽמְחַכִּ֣ים לַמָּ֣וֶת וְאֵינֶ֑נּוּ וַֽ֝יַּחְפְּרֻ֗הוּ מִמַּטְמֹונִֽים׃
הַשְּׂמֵחִ֥ים אֱלֵי־גִ֑יל יָ֝שִׂ֗ישׂוּ כִּ֣י יִמְצְאוּ־קָֽבֶר׃לְ֭גֶבֶר אֲשֶׁר־דַּרְכֹּ֣ו נִסְתָּ֑רָה וַיָּ֖סֶךְ אֱלֹ֣והַּ בַּעֲדֹֽו׃

Maintenant je serais couché, je serais tranquille, je dormirais ; alors je pourrais me reposer
avec les rois et les conseillers de la terre, qui se bâtissent des mausolées,
avec les princes qui ont de l'or et qui remplissent d'argent leurs maisons
-- ou
bien, comme un avorton caché, je n'existerais même pas, comme ces enfants qui n'ont jamais vu le jour.
Là les méchants cessent leur agitation (rgz), là se reposent ceux qui sont fatigués et sans force ;
les prisonniers sont tous dans la tranquillité, ils n'entendent plus la voix de l'oppresseur ;
le petit et le grand sont là, l'esclave est affranchi de son maître.
Pourquoi donne-t-il le jour à celui qui peine, la vie à ceux qui sont amers,
qui attendent la mort, sans qu'elle vienne, qui la recherchent plus que des trésors, 
qui se réjouiraient, transportés d'allégresse et d'exultation, s'ils trouvaient la tombe 
à l'homme dont la voie est cachée, et que Dieu cerne de toutes parts ?

 

 

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12 janvier 2015 1 12 /01 /janvier /2015 22:23

Ce n'est pas le moindre des paradoxes qu'en faisant des martyrs de la non-transcendance (je pense autant, en l'occurrence et toutes proportions gardées, aux "bons élèves" tabassés dans leur lycée pour avoir benoîtement récité les leçons insipides de l'école et de la République sur la "tolérance" et la "laïcité" qu'aux victimes, plus ou moins "militantes" et "engagées en connaissance de cause" selon les cas, de Charlie-Hebdo), les sicaires ou les gros bras du fondamentalisme religieux les élèvent indistinctement et à leur insudans leur propre échelle de valeurs, à leur niveau et même au-dessus. Ceux-ci jouissaient jusque-là, en dépit de l'indigence ou de la franche stupidité de leur relation personnelle à "la religion", de l'avantage considérable que leur conférait d'office celle-ci, ne fût-ce que par association: une présomption de "hauteur" ou de "profondeur" à laquelle une société "laïque"  (séculière, profane) et "humaniste", horizontale et superficielle par définition assumée, ne pouvait ni ne voulait prétendre. Mais voilà que quand on meurt ou quand on souffre pour quelque chose, même par refus ou mépris d'une transcendance ou d'un sacré qui donnerait une raison de souffrir et de mourir et dont la souffrance ou la mort constituerait en retour un témoignage (marturia, shahada), on est malgré soi frappé, atteint de transcendance et de sacré. Toute "valeur" à laquelle on se trouve alors associé, fût-elle aussi moralement vide ou négative que la "liberté d'expression" ou la "dérision", se retrouve portée du même coup à la majuscule du divin, avec tout le grandiose et le grotesque qui accompagnent invariablement cette apothéose.  C'est un simple effet que personne, à la lettre, n'aura voulu -- ni les assassins qui n'entendaient surtout pas faire des "infidèles" des "martyrs" plus exemplaires qu'eux-mêmes, ni les victimes qui n'entendaient surtout pas devenir les "témoins" d'une forme quelconque de transcendance, ni les "modérés" qui n'avaient rien demandé à personne, ni même les rares "mystiques" de la religion et de la laïcité (il y en a) qui ne souhaitaient nullement voir triompher ainsi leur idée généralement discrète de la hauteur ou de la profondeur -- mais il ne s'en produit pas moins, bêtement, mécaniquement, automatiquement. Une société superficielle et futile pour laquelle on risque sa vie cesse provisoirement, mais instantanément, d'être superficielle et futile. Pendant un temps au moins elle ne peut plus se regarder comme telle, et ses pires ennemis non plus ne peuvent plus la regarder comme telle. Toute intention et toute logique, religieuse, areligieuse ou antireligieuse, se perd dans la magie affolante du sacrifice qui du sang fait du sacré à l'aveuglette, de n'importe quoi, de tout ce qui lui tombe sous la main -- une croix par exemple. Chacun y perd ce qu'il croyait être ou avoir -- un caractère, une propriété, une exclusivité -- et y gagne aussi, une profondeur ou une hauteur insoupçonnée qu'il découvre, à son corps défendant, simutanément chez lui-même et chez l'autre. Face à quoi il n'est d'autre défense, de part et d'autre, qu'une dénégation elle-même perdue d'avance.

Promis, juré, craché: Dieux et diables attendront, pour en rire, que nous soyons prêts à en rire avec eux. Ce n'est peut-être pas demain la veille, mais ils ont tout le temps: rira bien, comme on sait, qui rira le dernier, que ce soit tout le monde ou personne.

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8 janvier 2015 4 08 /01 /janvier /2015 15:07

Mon dernier micro-billet, je le découvre avec stupeur, s'achevait sur le mot carnage. Avec un point d'interrogation, et sans l'ombre d'une prémonition. 

Depuis hier, hélas ! la stupeur ne me quitte plus.

Suis-je Charlie ? Je l'ai suivi, de loin en loin, tantôt assidûment et tantôt pas du tout, depuis les origines (Hara-Kiri); j'avais, je l'avoue, modérément goûté son évolution éditoriale sous Val et Charb. 

Je suis assurément des traits, de crayon, de plume et d'esprit, lancés là et ailleurs, qui au fil des années m'ont esquissé la tête et le cœur: Cabu, Maris, Wolinski, mon tiercé funèbre dans l'ordre; les autres aussi m'avaient marqué, avec amusement souvent, avec un certain agacement parfois: leur mort à tous me consterne.

Comment peut-on tuer Cabu ?  Du grand Duduche aux nouveaux beaufs, il représentait avec un humour, une intelligence et une tendresse inégalées ce que malgré tout je n'aurai cessé d'aimer dans ce qu'il me faut bien appeler ma génération. Un amour de l'amour, des idées, du rire, de la jeunesse et de la liberté qu'on entendrait encore s'esclaffer sous le concert des hommages officiels, étatiques, politiques, policiers, militaires, où même le Front National viendrait faire nombre dans l'unité du même nom. C'est son trait que je cherche et que je n'ai pas fini de chercher. Comme je préférerais être mort à sa place en sachant que d'autres le retrouveraient la semaine prochaine. Mais de combien de morts connus, de moi ou de tout le monde, ne me suis-je pas dit la même chose ? 

Peut-on tuer Cabu ? Oui, manifestement; et non, bien sûr: ce qu'il a su dessiner chez un pauvre type comme moi, il l'a aussi dessiné chez des centaines de milliers parmi lesquels quelque chose de son talent ne saurait manquer de se relever, s'est déjà relevé depuis longtemps du reste. Mais, à jamais désormais, disséminé. 

 

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4 janvier 2015 7 04 /01 /janvier /2015 01:23

Monstre nombreux, massif, grotesque, bruyant, puant, vorace, rapace, combien de temps te supporterais-tu encore sans l'écran qui heureusement te concentre, t'absorbe et te résorbe avec ton monde à l'étendue plane de sa surface d'illusion, page et miroir s'annulant l'un l'autre ?

 

Connexion et partage : déconnexion et carnage ?

 

http://oudenologia.over-blog.com/article-article-sans-titre-121250220.html

http://oudenologia.over-blog.com/article-enfin-seuls-114860654.html

http://oudenologia.over-blog.com/article-ereignis-ou-conte-a-rebours-106551218.html

 

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2 janvier 2015 5 02 /01 /janvier /2015 12:27

L'un-différant.

Plus et moins qu'un mot ou qu'un signe, dépendant intégralement d'une langue sans en faire strictement partie -- à la limite; il faut si peu -- un gramme, celui-là ou un autre, Undr par exemple -- pour avoir tout dit; tout et son contraire; tout et rien en somme; tout ce qui aura été ou se sera donné à croire, à aimer, ou à penser, accomplissant et épuisant, comme leur fin, toute foi, tout amour, toute pensée.

 

אַךְ לֵאלֹהִים דּוֹמִּי נַפְשִׁי (Psaume lxii, 6): d'où ça parle, d'où ça enjoint, d'où ça intime (fût-ce à mon âme, anima mea, mon animale, mon animot, le silence), décidément ni "dieu" ni "moi" ni "autre".

 

Vomir son nom, son prénom et ses pronoms, avec son idiome -- son histoire, sa culture, sa race, son espèce, son ordre, son règne, son monde, toute cette propriété proprement volée et inassimilée, bien mal acquis ne profite jamais -- d'un long spasme continu, arrachant, évidant, éviscérant, décarcassant.

 

Faire de son corps une écriture, désertée de sens, d'intention et de destination, de soi et d'autre.

 

Comme Job de l'intérieur et à lavance écrivait ou gravait son cadavre, comme un acte d'accusation et comme une bouteille à la mer, sachant déjà qu'il ne serait lu que trop tard, quand sa querelle, son adversaire, son témoin, son interprète, son ayant-droit ne seraient plus siens.

 

Qui parle de vérité, il faudrait au moins le blesser.

 

 

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26 décembre 2014 5 26 /12 /décembre /2014 20:23

De toutes les méthodes, stratégies ou tactiques conçues contre la peur, il n'en était sans doute pas de mauvaise, pourvu qu'elle fût efficace; mais pas non plus de bonne, surtout si on l'entendait au sens de "bonne guerre" ou de fair-play: de franche, de loyale, de directe ou de frontale -- telle était la nature de la peur qu'elle ne se laissât pas affronter ainsi, surtout par un vulgaire courage: où paradait celui-ci, elle ne daignait même pas se montrer.

Et là où elle était, en revanche, où elle régnait sans partage et sans frontière, occupant tout l'horizon, il n'était pas question de courage; tout au plus pour un sujet apeuré de la surmonter, de l'éviter ou de la contourner, plus souvent encore de lui échapper un petit peu sans jamais cesser de compter avec elle, en jouant avec elle un jeu double, complexe, rusé, faux ou retors, de façon à gagner assez de prise sur elle pour desserrer son étreinte. On entamait ainsi la peur à la dédoubler subrepticement d'une ombre ou d'un simulacre de peur, pour  la mettre en abîme ou en balance; en jouant la peur contre la peur, tout en prétendant n'en rien faire: fear not but fear itself.

Dans toute la culture antique, y compris biblique, de la sagesse des Proverbes (e.g. xiv, 26s) aux évangiles (e.g. Matthieu x, 28), c'était ainsi la crainte des dieux (puis de Dieu) qui servait d'antidote à celle des hommes, quand elle ne s'arc-boutait sur elle-même d'une injonction en double-bind: ne craignez pas, premier ordre du dieu terrifiant, sans lequel d'ailleurs il lui était impossible de se faire entendre d'un mortel trop terrifié pour être auditeur, et a fortiori interlocuteur.

L'originalité stupéfiante de Job dans ce contexte général avait consisté à mépriser la terreur qu'inspire le dieu comme un procédé indigne de celui-ci. Non pas mépris ou dénégation honteuse de sa propre peur, assumée de part en part, reproche à la divinité d'user d'un artifice aussi misérable et, pour tout dire, moralement et juridiquement douteux. Nulle part sans doute théologie n'avait été aussi agressive, hostile, violemment anti-théiste, dans la crainte et le tremblement pourtant (cf. notamment les chapitres 9 et 13). Plus qu'une révolte, il y avait chez Job une haine du dieu terrifiant qui lui tenait lieu de courage et se frayait par le blasphème un chemin de parole et de vérité dans la terreur divine, et ne s'apaiserait qu'au-delà de toute peur, avec l'abandon et le mépris absolu (xlii, 6, sans complément) -- de soi peut-être mais aussi d'un dieu et d'un monde ayant enfin levé le voile sur leur terrifiant et merveilleux mystère.

Ce drame abyssal et sulfureux, on le savait, n'avait été transmis que difficilement (texte hébreu à peine lisible), à la faveur d'une "couverture" naïve et édifiante: le prologue et l'épilogue (happy ending) en prose dédouanaient hâtivement et superficiellement "Dieu" de toute injustice et de toute cruauté (grâce à l'interposition commode d'un satan encore au service de Dieu mais déjà coupable d'excès de zèle) et Job de tout blasphème (i, 22; ii, 10). Ce qui avait "sauvé" le corps du livre (les dialogues poétiques) n'en facilitait certes pas la lecture, mais, pour peu que celle-ci ait lieu, l'agrémentait d'une provocation supplémentaire: c'est à l'accusateur de "Dieu" que celui-ci donnait raison contre ses défenseurs obséquieux (xlii, 7ss).

L'amour du Dieu amour, dirait la première épître de saint-Jean (iv, 18), bannit la peur: autre méthode peut-être, à partir d'une autre idée de Dieu et d'un autre type de peur. Que la haine pût donner l'avantage à qui était livré à la terreur d'un dieu terrifiant, voilà qui pouvait sembler étonnamment contraire; ou complémentaire.

 

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24 décembre 2014 3 24 /12 /décembre /2014 14:22

Il ne pouvait certes pas donner tout à fait tort à cet anti-intellectualisme religieux, attitude ou habitude, instinct, réaction ou réflexe sain, au fond, parce que conservateur (cela allait souvent de pair), auquel il s'était si souvent heurté, en lui-même et chez les autres, et qui avait creusé peu à peu en lui et autour de lui, à force d'angoisse et de culpabilité, de scrupule et de désespoir, de souffrance et de refus de souffrir, une solitude immense, quoique aujourd'hui largement apaisée ou du moins amortie. Le bon sens de la piété populaire avait bien deviné sous les slogans épistémophiles de la théologie occidentale -- de saint Augustin à saint Anselme, credo ut intelligam, fides quaerens intellectum, etc. -- le sombre revers d'une téléologie équivoque: l'intelligence (ou la connaissance, elles paraissaient ici inséparables) comme fin de la foi. Sans doute pouvait-on (avec plus ou moins de mauvaise foi) récuser, nuancer ou relativiser cette implication, en la réinscrivant par exemple dans quelque cycle ou mouvement perpétuel: l'intelligence reconnaissant sa dette ou sa dépendance à l'égard de la foi, et ainsi la nécessité de celle-ci, la relancerait pour ainsi dire. Mais s'y relancerait-elle pour autant ? Elle ne semblait pouvoir échapper à ce point -- de (non-)retour -- à une certaine duplicité. Sans doute pourrait-elle faire mine de croire, en se gardant, et dès lors en se regardant croire, en se comprenant comme croyante: déjà un participe de trop pour être simplement croyante; ou bien en se perdant, mais non sans la secrète arrière-pensée au dernier moment, si vertigineux fût-il, de s'y retrouver en fin de compte, le compte, la fin et leur anticipation étant toujours son affaire à elle. A supposer d'ailleurs qu'elle pût réellement se perdre, qu'elle ne fût pas foncièrement irréversible et définitive, à l'image du parfait des verbes (notamment cognitifs) et de la graphique du futur antérieur, indélébile en dépit de tout effacement. Car alors, avec l'intelligence, c'en était bien fini de la foi, y compris de la foi en quête d'intelligence. Bien sûr, il y aurait toujours l'amour -- celui qui couvre tout  comme dit si bien la Bible -- pour noyer le problème, grâce à sa faculté commode de s'identifier indifféremment à chacun de ses termes comme de s'y opposer. 

A moins que ce dilemme ne fût vicié à la base par un inévitable malentendu sur l'intelligence (la connaissance, la sagesse, la conscience, etc.); qu'il fût radicalement impossible à quiconque de comprendre que cela n'est jamais à personne, étant toujours déjà situé hors de tout, de tout être et de tout soi -- n'étant rien en somme, que l'espacement même des choses à effet multiple, de pli, de rapport, de miroir; que quiconque y accède, de la façon la plus élémentaire -- tout homme en tant que sapiens -- s'est ipso facto définitivement quitté. Double lacanisme s'annulant, faute de troisième larron pour faire le nœud: il n'y a pas de sujet de la connaissance. Nul ne saurait la désirer sans désirer se perdre, et sans le savoir déjà. Terrorisme discret du gnwqi seauton, intimation du suicide impossible parce que d'ores et déjà accompli. La foi ou l'amour y reconduiraient comme à l'extase et à l'abattoir, s'évanouissant sur son seuil avec leur sujet fantôme, au point de comprendre et de disparaître.

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21 décembre 2014 7 21 /12 /décembre /2014 17:02

En revoyant une nouvelle fois le merveilleux Dersou Ouzala d'Akira Kurosawa (1975), encore scintillant de l'émerveillement généralisé au sein duquel il l'avait d'abord découvert avec dix ans de retard -- t'en souvient-il ? -- il remarqua combien l'humanité (presque) universellement saluée dans cette œuvre était celle des fins et des confins : dernières années et orient extrême de l'empire russe et de l'union soviétique, à quelques générations d'intervalle, zone ultime d'interaction entre des diversités, "culturelles" et "naturelles", également condamnées à brève échéance avec leurs méthodes et leurs modes de connaissance si étrangers les uns aux autres mais toujours susceptibles de communication et de reconnaissance mutuelles. Une humanité rare n'en est que plus différenciée en ces frontières indécises où elle se différencie le moins de ses "autres"; ce que dans un étonnement réciproque le regard occidental de l'explorateur nommera l'animisme de Dersou -- la taïga est peuplée de gens, humains et animaux, sans solution de continuité entre ethnologie, zoologie, physique et botanique (dans cet ordre: comme dans de nombreux textes antiques, feu, eau et vent y sont encore plus manifestement vivants que les arbres). Humanité du respect où l'on se fait signe de loin, où les retrouvailles font figure d'exception et d'épiphanie miraculeuses, où toute proximité et familiarité sont aussi fatales que la ville au vieux chasseur.

Humanité première et dernière, quoiqu'elle semble déjà à jamais perdue: elle seule saurait encore habiter nos ruines à venir.

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20 décembre 2014 6 20 /12 /décembre /2014 17:31

Ce serait un lieu commun, s'il ne conduisait chacun par un chemin particulier vers un océan de tristesse, peut-être le même, mais qu'importe ? -- se dit-il en installant le sapin de Noël -- que l'enfance ne tient pas ses promesses.

Ni celles qu'elle paraît faire au nom des adultes aux enfants, ni celles qu'elle paraît faire au nom des enfants aux adultes. 

Qu'elle paraît faire, car les promesses en question sont apparentes. C'est-à-dire aussi objectives, au sens où l'on parle également d'alliance objective, notamment entre ennemis qui n'ont conclu entre eux aucune alliance, alliance dès lors non seulement tacite mais qui ne réduit en rien l'antagonisme dont, paradoxalement, elle dépend: personne à vrai dire, aucune partie, aucun sujet, n'y promet rien ni ne s'y engage à rien. Ainsi, de bien des manières, ambiguës, et cependant effectives.

Pour ne rien promettre et surtout ne rien garantir en effet elles n'en sont pas moins de vraies promesses, les seules véritables peut-être: inconditionnelles et irrévocables, quand il n'y aurait eu personne pour les faire ni pour les tenir. Elles le sont, elles l'auront été, merveilleusement et cruellement, pour autant qu'elles auront été crues. Et crues, elles le seront toujours, car nul ne saurait s'abstenir de les croire, lorsque, avec l'enfance, elles paraissent.

καὶ τοῦτο ὑμῖν τὸ σημεῖον, εὑρήσετε βρέφος ἐσπαργανωμένον καὶ κείμενον ἐν φάτνῃ. Avec le récit de la Nativité selon saint Luc (ii, 12, cf. v. 34 et http://oudenologia.over-blog.com/article-contre-semantique-125190147.html ), la vieille tradition prophétique de l'enfant signe (cf. le livret de l'Emmanuel dans le livre d'Isaïe, http://oudenologia.over-blog.com/article-article-sans-titre-59551286.html ) est simultanément réduite à son expression la plus pauvre et portée à sa signification la plus riche, trop riche même pour pouvoir signifier encore quoi que ce soit. Cela peut s'appeler évangile, gloire de Dieu dans les cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté dans quelque sens qu'on voudra, sauveur, messie, christ, seigneur et joie pour tout le peuple, la signification du signe enfant comme de l'enfant signe est aussitôt saturée d'absolu, ce qui lui est fatal en tant que signification. Rien ni personne ne se tiendra jamais, ne se sera jamais tenu, à la hauteur de la promesse pourtant ici donnée et reçue une fois pour toutes les fois: ni Jésus terrestre, ni Christ céleste, ni Eglise, ni histoire, ni parousie, ni fin du monde, ni jugement dernier, ni béatitude éternelle. Reste l'enfant comme signe absolu, autant contradiction du signe que signe de contradiction.

L'ambivalence maintes fois relevée de la formule "accueillir le royaume de Dieu (signifiant absolu s'il en est) comme un enfant" (= comme un enfant l'accueille OU comme on accueille un enfant; comparer Marc x, 14s et ix, 36s etc.; cf. http://oudenologia.over-blog.com/pages/sermon-de-presentation-8728925.html ) ne dit pas autre chose. Tout et son contraire, tout et rien, au hasard -- Balthasar -- de l'enfance et de l'écriture.

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