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12 janvier 2015 1 12 /01 /janvier /2015 22:23

Ce n'est pas le moindre des paradoxes qu'en faisant des martyrs de la non-transcendance (je pense autant, en l'occurrence et toutes proportions gardées, aux "bons élèves" tabassés dans leur lycée pour avoir benoîtement récité les leçons insipides de l'école et de la République sur la "tolérance" et la "laïcité" qu'aux victimes, plus ou moins "militantes" et "engagées en connaissance de cause" selon les cas, de Charlie-Hebdo), les sicaires ou les gros bras du fondamentalisme religieux les élèvent indistinctement et à leur insudans leur propre échelle de valeurs, à leur niveau et même au-dessus. Ceux-ci jouissaient jusque-là, en dépit de l'indigence ou de la franche stupidité de leur relation personnelle à "la religion", de l'avantage considérable que leur conférait d'office celle-ci, ne fût-ce que par association: une présomption de "hauteur" ou de "profondeur" à laquelle une société "laïque"  (séculière, profane) et "humaniste", horizontale et superficielle par définition assumée, ne pouvait ni ne voulait prétendre. Mais voilà que quand on meurt ou quand on souffre pour quelque chose, même par refus ou mépris d'une transcendance ou d'un sacré qui donnerait une raison de souffrir et de mourir et dont la souffrance ou la mort constituerait en retour un témoignage (marturia, shahada), on est malgré soi frappé, atteint de transcendance et de sacré. Toute "valeur" à laquelle on se trouve alors associé, fût-elle aussi moralement vide ou négative que la "liberté d'expression" ou la "dérision", se retrouve portée du même coup à la majuscule du divin, avec tout le grandiose et le grotesque qui accompagnent invariablement cette apothéose.  C'est un simple effet que personne, à la lettre, n'aura voulu -- ni les assassins qui n'entendaient surtout pas faire des "infidèles" des "martyrs" plus exemplaires qu'eux-mêmes, ni les victimes qui n'entendaient surtout pas devenir les "témoins" d'une forme quelconque de transcendance, ni les "modérés" qui n'avaient rien demandé à personne, ni même les rares "mystiques" de la religion et de la laïcité (il y en a) qui ne souhaitaient nullement voir triompher ainsi leur idée généralement discrète de la hauteur ou de la profondeur -- mais il ne s'en produit pas moins, bêtement, mécaniquement, automatiquement. Une société superficielle et futile pour laquelle on risque sa vie cesse provisoirement, mais instantanément, d'être superficielle et futile. Pendant un temps au moins elle ne peut plus se regarder comme telle, et ses pires ennemis non plus ne peuvent plus la regarder comme telle. Toute intention et toute logique, religieuse, areligieuse ou antireligieuse, se perd dans la magie affolante du sacrifice qui du sang fait du sacré à l'aveuglette, de n'importe quoi, de tout ce qui lui tombe sous la main -- une croix par exemple. Chacun y perd ce qu'il croyait être ou avoir -- un caractère, une propriété, une exclusivité -- et y gagne aussi, une profondeur ou une hauteur insoupçonnée qu'il découvre, à son corps défendant, simutanément chez lui-même et chez l'autre. Face à quoi il n'est d'autre défense, de part et d'autre, qu'une dénégation elle-même perdue d'avance.

Promis, juré, craché: Dieux et diables attendront, pour en rire, que nous soyons prêts à en rire avec eux. Ce n'est peut-être pas demain la veille, mais ils ont tout le temps: rira bien, comme on sait, qui rira le dernier, que ce soit tout le monde ou personne.

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