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16 décembre 2014 2 16 /12 /décembre /2014 13:27

Quel esprit authentiquement religieux n'aurait souhaité vivre en un temps et en un lieu où il serait (presque) inconcevable que la religion pût servir à quelque chose ? Autant de malentendu écarté d'office, de dénégations, d'explications ou de justifications épargnées.

Chacun à sa manière, en bonne partie opposée, le judaïsme et le christianisme avaient un temps bénéficié d'une telle aubaine dans une Antiquité gréco-romaine majoritairement sceptique, au moins dans les classes moyennes et supérieures de la société.

Le champ de leur utilité potentielle s'était du moins trouvé considérablement restreint -- par la perte de toute perspective politique "nationale" liée à la dispersion puis au déracinement géographique de l'ethnos judéen d'une part, par la condition et le statut de "secte" ou de superstitio d'autre part qui limitaient a priori la vertu du christianisme au "salut" d'une poignée d'adeptes, quoi qu'il fallût entendre par là. Le sort ou la Providence voulut cependant que le second crût au point que l'histoire finît par lui confier les clefs de la religio, comme "service public" (leitourgeia) d'une société et d'un empire. Il est vrai que sans cela le christianisme n'aurait (ou ne se serait) probablement pas survécu. Et le judaïsme non plus, pérennisé qu'il allait  être dans sa position antagoniste par la "réussite" inattendue de son rival. 

En devenant religion d'empire (ce qui ne lui serait pas arrivé, même faute de concurrents, s'il n'y avait démontré bon gré mal gré une certaine aptitude, par son organisation surtout, par son potentiel symbolique aussi quelque peu), le christianisme "se trahissait" sans doute, dans un sens qu'il est devenu banal de relever; mais dans un autre sens il revenait aussi à des "sources" plus lointaines et plus universelles que ses origines particulières, celles qu'il partageait avec son "faux jumeau" (comme disait André Paul du judaïsme rabbinique) par l'héritage commun d'un même ancêtre (le judaïsme du Second Temple). Il retrouvait là un sens à la fois social et cosmique, comparable à celui des "religions" ancestrales et traditionnelles, ethniques et locales, y compris celle de l'Israël pré-exilique et pré-biblique -- à l'exception précisément de sa portée, désormais universelle. De toutes les préoccupations de la vie ordinaire dont il s'était originellement détourné (économie et politique, société, morale privée et publique, cycles biologiques et agraires, science et philosophie mêmes), d'un monde en somme il se voyait chargé, lesté, grevé, aggravé et alourdi. Ce surcroît pondéral dont l'histoire ultérieure de l'Eglise illustrerait les splendeurs et les hideurs n'allait sans doute pas le transformer du tout au tout, mais augmenter la dynamique et l'inertie de son propre processus de pondération (catholicité et orthodoxie, harmonisation ou standardisation de sa pratique et de sa doctrine), qui l'avait conduit jusque-là et avait fait de lui, contre toute attente, le meilleur candidat à ce poste. Il serait désormais aux yeux de tous, et donc davantage encore à ses propres yeux, fût-ce pour des raisons diamétralement opposées, une affaire sérieuse.

Grâce et gratuité, légèreté et irresponsabilité, extases et délires mystiques, ésotériques, apocalyptiques, gnostiques ou charismatiques, tous les charmes de son enfance ne pouvaient dès lors y  survivre ou s'y réinscrire que cachés, et dans un rapport ambigu avec une religion extérieure, exotérique, temporelle, séculière et séculaire, utilitaire et eudémoniste d'abord, du point de vue (différent évidemment) des "peuples" et de leurs "dirigeants". Ainsi les origines vénérées ou déniées pourraient y persister ou y faire résurgence, secrètement et dans un commerce équivoque et fructueux avec la religion populaire. Il ne serait pas question pour la "sainteté" ("pureté", "perfection") de s'étendre à tous sans compromis ni altération (sinon sur un mode incantatoire), mais pas non plus de se préserver intacte en se refermant totalement sur elle-même. L'idéal serait logiquement de type monacal, à l'intérieur d'une Eglise qui ferait corps avec le "monde". C'était au fond le vœu de la plupart des anciens "hérétiques", ces "pneumatiques" ("spirituels") chassés de l'Eglise au temps de sa constitution alors qu'ils ne demandaient qu'à ce qu'on les y laissât exister à leur manière, dans une communion ambivalente avec la masse des "psychiques" (ou "hommes naturels", concrètement croyants ordinaires). Un élitisme interne sans clôture définitive, une gradation (en plus ou moins) de la sainteté (etc.), où il serait possible de passer d'un cercle plus large à un cercle plus étroit, et réciproquement, plutôt que le nivellement d'un intérieur hermétiquement clos et opposé au dehors comme le jour à la nuit. L'esprit au cœur d'un corps aussi vaste que le monde. Au centre, l'illusion du mystère absurde ou gratuit, à la périphérie celle de l'utilité superstitieuse, pourraient ainsi s'entretenir l'une l'autre, communiquant entre elles sans jamais tout à fait se comprendre.

Cette économie médiévale du malentendu, les Réformes l'ont ruinéemoins en divisant le christianisme occidental qu'en homogénéisant dans toutes ses versions (y compris le catholicisme de la Contre-Réforme) son explication contradictoire, ouvrant la voie à l'autonomie d'un nouvel extérieur, d'autant plus nécessaire qu'il apparaissait comme le seul terrain neutre et objectif: le monde laïque (secular) qui allait les ruiner à leur tour, tout en leur redonnant (et du même coup à n'importe qui) la chance originelle de la religion inutile.

Un cycle à méditer avant d'en entamer (ou non) un autre.

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15 décembre 2014 1 15 /12 /décembre /2014 13:22

Epuisé, il releva le duvet au-dessus de sa tête; sous l'alcôve verdâtre dans la lumière pâle de ce midi brumeux, trois mots l'attendaient: tout est souffrance. Il les reconnut distinctement, de façon si singulière que sur le coup ils ne lui rappelèrent rien de particulier, comme s'il les entendait pour la première fois, telle une secrète évidence remontée de la nuit des temps et du fond des choses. Il resta un long moment à les laisser résonner en lui, sans songer au dédale d'échos intermédiaires par lequel ils lui étaient revenus. 

 

C'était bien en effet le fond, l'essence, la substance, la matière, la nature, la tonalité fondamentale de toutes choses nommables et pensables qui se découvrait et se dénommait ainsi, dans sa langue, où le souffrir communiquait -- par sympathie lexicale -- avec le subir et le pâtir, toute la postérité innombrable du pathos et ses collatéraux gagnés au passage, comme de son mal: patience, endurance et durée, permanence et rémanence, itération et répétition, mémoire et anticipation, continuité et identité, état et condition, âge et qualité; devenir et développement, changement et crise, progrès, altération et déchéance; travail, tourment, torture, pour autant qu'ils étaient subis, et ils l'étaient toujours; passion et compassion; sensation, perception, sensibilité, esthétique; expérience, connaissance et conscience. Dans cette largeur et cette profondeur -- il ne pensa que bien plus tard au fleuve de Siddhartha -- cela n'avait ni autre ni contraire: joie, plaisir, gaieté, bonheur, anesthésie, indifférence, apathie et impassibilité même, des variations et des modulations, des effets locaux et provisoires, des moments fussent-ils de grâce; des événements ou des accidents de la souffrance, comme la légèreté une différence de pesanteur; toutes choses ses ondulations, turbulences, formations, plis, concrétions, constructions, si régulier, solide ou complexe que cela parût. Même plainte des nerfs, du tympan, de l'air et de la corde sous la caresse ou le déchirement de l'archet dans l'allegro triomphal et dans l'andante élégiaquerévélant plus ou moins clairement ou simplement sa nature profonde. Rien au-dehors. C'était le corps sensible de l'être et du temps; tout "sujet", était d'abord et somme toute passivement son objet, son œuvre, son effet et son illusion. Elle pour lui, problème manifeste et solution paradoxale -- la grâce, la liberté, le salut de s'accorder à elle enfin, de ne plus vouloir que dans son sens, de ne plus chercher à la fuir, à l'utiliser ni à lui résister. Hors de lui cependant, ni solution ni problème.

 

N'entendez-vous pas pleurer tout le temps ? 

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14 décembre 2014 7 14 /12 /décembre /2014 12:41

L'où, en quoi il y a (il y a eu, il y aura, il y aura eu, il y aurait, ou non -- wherever there is, was, will, would or might be, or not) -- quoi ? tout, sauf le tout, every- and any- thing, body, one: chac'un, chaque chose à sa place et en son temps, étant et différant, présent et absent, passé ou futur, trace ou présage, trait ou signe, événement ou sens; où toute position, toute proposition, toute question se pose et toute opposition s'oppose: préséance imprenable, indélogeable, du pléonasme originaire (miroir, toujours déjà) de la "métaphore spatiale", où le "temps" même se loge avant d'y héberger les choses, en sous-location, asymétriquement, irréversiblement donc. Cela (cwra) qui comme l'être n'est pas, mais ne saurait perdre contenance, pourrait se désigner sous le nom de Dieu à condition qu'Il n'existe pas, sinon de l'existence de chaque chose en lui, hors lui.

 

http://oudenologia.over-blog.com/article-article-sans-titre-123361024.html (et passim).

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12 décembre 2014 5 12 /12 /décembre /2014 23:31

Sceptiques, pessimistes, cyniques, surpris (se surprenant eux-mêmes) en flagrant délit de foi, d'espérance ou d'amour, comme un professeur de vertu (théologale ou autre) au bordel -- non moins honteux ni fiers à la fois.

 

Culte de l'enfance (pédolâtrie), compensation, contrepoids, antidote à la téléologie ? -- à proportion en tout cas, au niveau de l'espèce comme de ses variétés. 

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11 décembre 2014 4 11 /12 /décembre /2014 08:52

ἰδοὺ οὗτος κεῖται εἰς πτῶσιν καὶ ἀνάστασιν πολλῶν ἐν τῷ Ἰσραὴλ καὶ εἰς σημεῖον ἀντιλεγόμενονκαὶ σοῦ [δὲ] αὐτῆς τὴν ψυχὴν διελεύσεται ῥομφαία – ὅπως ἂν ἀποκαλυφθῶσιν ἐκ πολλῶν καρδιῶν διαλογισμοί.
(Voilà que celui-ci [Jésus] est posé pour la chute et le relèvement de beaucoup en Israël, et en signe contre-dit -- à toi-même [Marie], une épée te traversera l'âme -- en sorte que soient révélés les raisonnements de beaucoup de cœurs. Evangile selon saint Luc, ii, 34s)

 

Une nouvelle lecture de L'Ecole du christianisme l'avait ramené à cette phrase qu'il n'avait pas relue depuis fort longtemps -- alors que le nunc dimittis du même locuteur (Siméon) dans la même péricope (Présentation de l'enfant Jésus au Temple) ne le quittait guère. Il est vrai que la formule "signe de contradiction" (selon la vieille traduction de Tisseau, qu'il présumait conforme à la bible danoise de Kierkegaard) était équivoque et, avant la lettre, kierkegaardienne à souhait, se prêtant aux mises en abyme, aux paradoxes en cascade et aux renversements dialectiques (fût-ce d'une dialectique existentielle et anti-hégélienne): la contradiction qui gisait déjà dans le concept même de signe (le signe pour être signe de quelque chose est et n'est pas la chose qu'il est et/ni celle qu'il indique, signale, en-seigne ou dé-signe), se démultipliait à l'infini quand le signe en question était "l'Homme-Dieu", celui qui s'en-seignait sous l'espèce de la contradiction absollue, n'étant jamais plus indirect ou plus médiat que quand il se désignait directement ou immédiatement dans son élévation divine sous l'incognito de l'abaissement humain, etc.

 

Evidemment la "contradiction" jouait ici, à merveille, d'un "contresens" (c'était peut-être d'ailleurs la raison de son relatif oubli, effet de "filtrage" par cette déformation de "rigueur" professionnelle qui l'avait longtemps incliné à résister aux séductions des plus beaux contresens bibliques, des "hommes de bonne volonté" à "l'Agneau immolé avant la fondation du monde", avant d'y reconnaître le contreseing ou la contre-signature de la différance à l'œuvre en toute écriture): aux yeux du sémanticien de stricte obédience, celui qui professe la clarté et l'univocité du sens au moins jusqu'à preuve contextuelle du contraire, le signe de contradiction n'était en l'occurrence qu'un signe contredit, c.-à-d. controversé ou disputé; non un signe contradictoire, moins encore le signe d'une contradiction absolue. Mais le génie, résolument "non apologétique" et "sans autorité", de Kierkegaard consistait précisément à n'offrir aucune défense ni aucune résistance aux objections de ce type (exégétiques, sémantiques ou encore historico-critiques, que ce soit en matière biblique ou dogmatique; car même pour les "études bibliques" de la première moitié du XIXe siècle il ne ressortait déjà plus de tous les textes du Nouveau Testament, de l'Evangile selon saint Luc en particulier, que Jésus y fût "l'Homme-Dieu"); qui voulait ainsi fausser compagnie à Anti-Climacus trouvait sans peine d'excellentes raisons de le faire, celui-ci ne levait pas le petit doigt pour le retenir; mais qui le suivait devait le suivre jusque sur son terrain, religieux, subjectif, dialectique et existentiel. Dans le face-à-face dès lors contemporain avec l'Homme-Dieu, non union hypostatique d'une divinité et d'une humanité abstraites mais Dieu tout-autre sous l'espèce d'un homme particulier, signe de la contradiction absolue, se découvrait l'impossible possibilité de la décision existentielle, rationnellement indécidable, entre foi et scandale. Une fois rendu à ce point, peu importait en effet par quel chemin on y était arrivé. Il fallait trancher.

 

Que restait-il de tout cela, plus d'un siècle et demi plus tard ? Les "existentialismes" du XXe siècle qui s'était nourri sans vergogne du versant philosophique de l'œuvre de Kierkegaard tout en traitant par le mépris, à de rares exceptions près, son caractère religieux et chrétien, n'étaient plus eux-mêmes qu'un lointain souvenir. Le structuralisme les avait balayés en même temps que leur "sujet", dernier reliquat de l'Individu ou de l'Unique (den Enkelte), avant de se défaire à son tour dans ses propres séquelles. Quant au discours proprement (?) théologique de Kierkegaard ou plutôt de ses pseudonymes chrétiens, malgré l'heure de gloire que lui avait value (au moins dans quelques sacristies) sa grandiose mais confidentielle reprise barthienne, il semblait quasiment inaudible en l'état des "progrès" concomitants des "sciences bibliques" et de la "conscience historique". Il se souvenait, quand il avait découvert et dévoré Kierkegaard un quart de siècle plus tôt, y avoir déjà entendu comme le chant du cygne d'un christianisme pré-critique, sublime mais irrecevable tel quel en dépit de son indéniable profondeur. L'Homme-Dieu ne paraissait plus aujourd'hui concevable que comme mythe. Un mythe qu'on n'était sans doute pas forcé de "démythologiser" en réduisant son "historicité" à quelque "historialité (la geschichtlichkeit d'un bloss dass, selon l'axe Heidegger-Bultmann), mais qu'il fallait désormais choisir de jouer ou non comme "mythe" (qu'on entende ici le jeu comme "métaphore" de son sens musical, dramatique ou ludique). Rien ne semblait plus contraire, en apparence, aux "intentions" de Kierkegaard: un véritable contresens. Et pourtant il s'y prêtait, malgré lui, ne fût-ce que par le biais d'un autre mot-concept lui-même devenu désuet entre-temps, etqui revenait souvent sous sa plume: celui d'idée. Assurément, les "idéalismes" classiques (ceux de Kant ou de Hegel, sans parler de Platon) pouvaient sembler encore plus morts et ensevelis que les "existentialismes" (à supposer que les idées, justement, puissent être plus ou moins mortes). Mais par là même aussi peut-être, plus près de l'impossible possibilité d'une résurrection, ou d'une relève. Pour Kierkegaard le Christ "Homme-Dieu" n'était sans doute pas un "mythe", mais il était bel et bien une "idée" -- chose et mot peut-être plus scandaleux pour nous, chrétiens ou non, à l'heure de l'exécration générale des "idéologies", qu'un "mythe"; et autant qu'un "dieu crucifié" pour le monde antique. Et le "scandale", pour Anti-Climacus, c'est justement ce qui ouvre l'impossible possibilité de la "foi" -- la décision qui s'enlève sur l'indécidable, dirait Jacques Derrida. Au prix exorbitant d'un nouveau contresens, et de la contre-signature d'un nouveau pseudonyme, la brèche d'une contemporanéité toujours anachronique ?

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10 décembre 2014 3 10 /12 /décembre /2014 13:26

Après l'avoir consterné, irrité, agacé, le "concept" (toujours oxymorique à ses yeux) de "pensée positive" ne suscitait plus en lui qu'une franche hilarité, à peine ironique, dépourvue d'aigreur sarcastique en tout cas: celle de cet humour absurde ou nonsensical qui, depuis son enfance, l'avait toujours instantanément mis de bonne humeur. C'était donc, en fin de compte, une formule efficace: il suffisait d'attendre qu'elle fît son effet.

 

Parmi les rares bénédictions (blessings, au sens concret de bienfaits ou de bonheurs) qui auraient éclairé ses dernières années, et qu'il reconnaissait volontiers comme telle, l'une des plus remarquables était le déclin naturel de ses allergies (autrement dit l'épuisement, lié au vieillissement, d'un excès de défense immunitaire): une mort en somme, un mourir plu(s )tôt, l'extinction progressive d'une vie ou d'une vitalité d'emblée déréglée et dysfonctionnelle. Cela lui avait en effet ouvert accès à la société des chats, qui lui avait jusque alors été interdite; rien ne manquait là de ce qui lui avait si souvent manqué, douceur, chaleur, grâce, finesse, sensualité, cruauté, indifférence, sommeil, intelligence. Cerise sur le gâteau: elle n'abolissait pas la tristesse, l'augmentait même souvent (mortels, eux aussi), mais l'accompagnait à merveille; d'une consolation et d'une méthode.

 

La vacherie de Guitry ("le sommeil était ce qu'elle avait de plus profond") perdrait son piquant, mais non sa vérité, à être généralisée (y compris aux deux "genres"), ou du moins appropriée par chacun: son sommeil -- non ses rêves, effet de surface, de frontière et de passage, ou de résistance au passage -- resterait, jusqu'à sa mort incluse, sa plus grande profondeur, celle du moins qui se tiendrait au plus près de l'expérience, sans en être tout à fait. De cela même dont il y aurait, s'il y avait jamais, "expérience" et "conscience".

 

A lire Cioran, il se sentait plus reconnaissant qu'humilié d'avoir été relativement épargné par l'Insomnie. Il conservait toutefois du temps où elle l'avait effleuré le souvenir glacé d'un désarroi tel que l'enfer y paraissait non seulement crédible, mais évidence tangible, advenue et englobante, overwhelming, sans issue.

 

In tempo corporis et in corpore tempus, que ceux qui veillent veillent sur ceux qui dorment, que ceux qui dorment dorment pour ceux qui veillent. Et que ceux qui rient rient pour ceux qui pleurent, que ceux qui pleurent pleurent pour ceux qui rient. (Ou: comment prolonger saint Paul.) C'était l'une des plus saintes idées de Cioran, être malheureux pour ceux qui ne savent pas qu'ils sont malheureux. Mais elle aussi se retourne. 

 

L'épreuve suprême de la foi et de l'obéissance des croyants, ce serait que leur dieu ne leur demande rien. De ceux qui l'auraient passée avec succès (comme Abraham la sienne ?) il ne resterait, bien entendu, aucune trace. Symptôme asymptotique: quand le dieu ne demande presque rien (ex.: Michée vi) il semble avoir déjà beaucoup de mal à se faire entendre.

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9 décembre 2014 2 09 /12 /décembre /2014 11:55

En voyant les publicités de toute espèce envahir ce blog [la chose est évitable, paraît-il, à condition de payer, mais je me refuse à l'idée de payer pour écrire sur un blog censément gratuit qui, de fait, ne me rapporte rien (j'ai une certaine expérience du bénévolat, mais elle s'est arrêtée net le jour où j'ai découvert qu'il y avait des gens qui, non contents de travailler comme moi sans être payés, payaient pour travailler bénévolement [on pourra mettre ça sur le compte de mes origines en partie limousines (certains Limousins me comprendront, je prie les autres de bien vouloir m'excuser)])], j'ai d'abord été consterné. Et davantage encore quand, après avoir délaissé ce blog pendant quelques semaines, j'ai constaté que les publicités s'y étaient multipliées (those things breed like rabbits, cf. Groucho Marx dans A Night at the Opera) au point de rendre mes textes, mes pauvres textes (cf. Bourvil dans Tout l'or du monde, de R. Clair)  tout à fait illisibles (ils n'avaient pas besoin de ça): tenez-le-vous-le-vous-le pour dit (cf. Pierre Larquey dans Les diaboliques, de H.G. Clouzot), fellow Underbloggers qui avez négligé comme moi de lire le fine print: au-delà de 45 jours de silence vous êtes mort et littéralement enseveli sous un tombereau de pubblicità di merda.

 

Et puis, finalement, je trouve ça assez rigolo, de regarder ce qu'une semi-intelligence informatique dérivée de la semi-intelligence humaine génère d'intertexte. Ainsi aujourd'hui (et sans cliquer sur les liens, évidemment) je lis "Jésus déteste la croix" (ça peut se comprendre) et "Jésus est toujours vivant Livres gratuits à télécharger"; un peu plus bas "Scandale au Vatican. Au sujet des crucifix. Les Croyants sont mouillés dans le complot." "Jésus est-il Dieu ? Découvrez les preuves des savants / Examiner les faits" Enfin "La Bible. Installez la Barre d'Outils Unique. Organisez vos Lectures Numériques !" (J'ai omis une pub pour une tablette de marque, avec un look un peu plus "professionnel", qui semble n'avoir aucun rapport avec le contenu du blog).

 

On peut rejouer tant qu'on veut en "rafraîchissant" (F5) la page: cette fois-ci je gagne "Age de votre corps / 50 ans et en paraître 35 ? / JESUS était-il gay ? / La Bible / Hollande dégringole / Cours de Torah Gratuit / Quel est ton QI ? / Pensée Positive" "La Bible est-elle vraie ? La réponse est l'une des choses les plus importantes que nous puissions (...?)" Next: "Trouver le site de rencontres qui vous correspond." Next: "Brochure gratuite / Pourquoi Dieu permet-Il la sou-ffrance ? Vous n'avez rien à payer" (comment l'entendez-vous ?) "Editions Baudelaire: Nouvelles, Romans, Essais ou autres Envoyez-nous votre manuscrit !" / "SNCF" / "My Astro / Faire un tirage GRATUIT"... Au-delà, pour le moment, on tourne en rond.

 

Commentaires:

1) il faudrait toujours lire, même et peut-être surtout ce qu'on a tendance à éviter de lire (outre les contrats du site hébergeur d'un blog, que j'aurais assurément dû mieux lire): c'est quelquefois intéressant, drôle, et il me semble qu'on s'en défend mieux mentalement en le lisant, voire en le copiant comme je viens de le faire, que par la fuite (le publicitaire avisé, je ne dis pas ceux-là, devrait spéculer sur la lecture fuyante, qui va capter malgré elle des mots sans lire le texte);

2) il apparaît clairement que mes textes, si "personnels", "obscurs" et "atypiques" soient-ils, offrent une concentration suffisante de vocables marqueurs répertoriés pour me cataloguer (avec mes éventuels lecteurs) comme "religieux", "chrétien" ou "juif"; ce n'est pas tout à fait juste, mais ce n'est pas non plus complètement faux;

3) il faudrait observer l'évolution de ce reflet d'une écriture au fil des textes -- et notamment l'effet de la réinscription dans ce billet des énoncés publicitaires, le cas échéant; pour observer la réactivité réciproque de nos systèmes...

4) ce "dialogue" différé avec la machine et les "malentendus" qu'il génère ne sont ni beaucoup moins intéressants ni beaucoup plus décevants que ceux que l'on peut connaître avec des interlocuteurs "réels", sur un forum "virtuel" par exemple;

5) les fatras extérieur et intérieur se reflètent à l'infini, dixit Narcissus...

6) vivement F5 ?

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8 décembre 2014 1 08 /12 /décembre /2014 18:57

La différence, toujours creusée ou affirmée, toujours comblée ou déniée, toujours reprise ou relevée, de "l'amour" à "la connaissance" -- différence qui s'interprétera indifféremment en termes de supériorité ou d'infériorité, mais absolue et radicale, selon le point de vue qui ne sera de toute façon jamais le sien -- ce serait peut-être, en fin de compte, de ne faire aucune différence. Non pas de s'annoncer, mais de s'avérer rigoureusement incapable de jugement, d'analyse et de discernement, de distinction et de discrimination, de séparation et d'exclusion, de tout ce qui constitue en somme une "connaissance" au sens ordinaire.

Entre soi et autre, celui-ci ou celle-là,

          divin ou animal, végétal ou minéral,

          âme ou corps, esprit ou matière,

          bon ou mauvais, beau ou laid,

          vivant ou mort, prochain ou lointain,

          nom ou être, mot ou chose,

          réel ou imaginaire,

                                        tout départ pâlit lorsque l'amour paraît

                                                                      -- si peu qu'il paraisse en effet,

                                                                               souverain dès lors 

                                                                                                             au royaume infini quelle qu'en soit l'étendue

                                                                                                         et au règne éternel quelle qu'en soit la durée.

C'est bien, au fond, vers une telle issue de béate hébétude (conforme en cela à la revendication d' imbécillité et de débilité divines, si l'on osait traduire ainsi τὸ μωρὸν τοῦ θεοῦ καὶ τὸ ἀσθενὲς τοῦ θεοῦ, le stupide du dieu et le faible du dieu, i, 25) que conduirait le (trop ?) célèbre hymne à l'agaph de la Première épître aux Corinthiens (chapitre xiii): au début et un temps l'amour sujet résiste, se retient et se contient, se débat et se défend de ses autres et de ses contraires, il se montre encore capable de distinction, de négation, de réticence et de rejet, donc de définition, mais à la fin il cède à l'assentiment sans réserve de la totalité indistincte: πάντα στέγει, πάντα πιστεύει, πάντα ἐλπίζει, πάντα ὑπομένει. C'est sa façon à lui, irrésistible, de gagner, moins en perdant qu'en se laissant gagner, comme gagnent et s'apaisent la tristesse et la joie, la folie douce ou furieuse; et dès lors de régner, sans être et sans partage.

Saint Paul, c'est bien connu, ne résiste jamais, à la fin, à l'orgasme du tout en tout. Qui donc, enfin arrivé ou plutôt rendu là, y résisterait ?

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6 décembre 2014 6 06 /12 /décembre /2014 17:12

Tel l'amour de la sagesse (suivant l'étymologie, séduisante y compris au sens étymologique, c.-à-d. trompeuse, du "philosophe") qui, si l'on en croit la grande introduction tardive du livre des Proverbes (chap. 1--9), n'a rien d'un coup de foudre ou d'un love at first sight -- il vient avec le temps ou ne vient pas, s'acquiert ou non, mais toujours difficilement et à grand prix, se recherche avec plus ou moins de désir et de bonheur, ou se trouve sous l'aiguillon du malheur et de la contrainte -- le goût de "l'impersonnel" est assurément un goût acquis, acquired taste, que la culture ambiante le valorise et le favorise ou non. Mais son acquisition est d'autant plus difficile et exceptionnelle dans une culture qui n'en fait aucun cas ou le méprise ouvertement.

 

J'y repensais l'autre jour à propos de la difficulté -- difficile déjà à dire, à décrire et à définir, sinon peut-être par les métaphores sensibles d'accommodation au sens optique (focusing) ou d'accord au sens acoustique (tuning) -- que présente la simple perception des thèmes "sapientiaux" dans la Bible en général et dans l'Evangile selon saint Jean en particulier (cf. http://etrechretien.discutforum.com/t303p15-ce-que-je-retiens-de-jean , post du 7.11.2014 resté symptomatiquement sans écho ni réponse à ce jour): même "personnifiés" (et dès lors majusculés) comme la Sagesse elle-même, ils sont "impersonnels" (on peut tout "personnifier", sauf une "personne" !). Or comment, dans un livre où l'on a toujours cherché (et quelquefois trouvé) quelqu'un, Dieu ou Christ personnel, pourrait-on encore voir ou entendre quelque chose, a fortiori sous les traits ou dans la voix de quelqu'un ? En plus, à la rigueur, mais à la place même de ce quelqu'un ? 

 

Le lecteur chrétien de la Bible n'a aucun mal à dire (sinon à penser) que la Sagesse impersonnelle-personnifiée des Proverbes "signifie" (c.-à-d. désigne) un Christ personnel; il lui est quasiment impossible en revanche de penser que le personnage de Jésus "signifie" (c.-à-d. représente, comme un acteur sur la scène un personnage historique ou imaginaire, ou un signifiant un signifié ou un référent) quelque chose comme la sagesse, ou le logoV (ou encore "l'amour", "l'esprit-souffle", "la vie", "la lumière", "le chemin", "la vérité", "la porte", "la vigne", pour reprendre quelques-uns des prédicats plus ou moins apparemment "métaphoriques" que les textes johanniques attribuent aux sujets "Jésus" ou "Dieu") -- en entendant bien cela comme quelque chose et non quelqu'un. La "personne" (divine, divino-humaine, puis finalement humano-humaine ou trop humaine) sur laquelle s'est fixée et concentrée de plus en plus exclusivement l'attention du judaïsme, du christianisme et de l'Occident post-chrétien ne peut plus jouer son rôle étymologique de persona, de masque porte-parole ou porte-voix de quoi que ce soit. Elle ne peut plus signifier ni représenter rien d'autre qu'elle-même; première et dernière, alpha et oméga, destinateur et destinataire d'une communication et d'un message dès lors "interpersonnels".

 

Cela culmine évidemment avec la célébration de "l'amour", lui-même compris par défaut comme "interpersonnel", comme quelque chose qui est ou arrive, a lieu entre (au moins) deux "personnes", selon le modèle "A aime B", le sujet A et l'objet B étant compris comme des "personnes" (le sens d'amour de quelque chose, la sagesse par exemple, étant  communément jugé d'emblée secondaire et dérivé par rapport à cet amour interpersonnel, indépendamment de toute analyse linguistique). Certes, la formule johannique "Dieu est amour" impliquerait alors que "Dieu" soit autre chose qu'une "personne"; à cette déduction l'orthodoxie chrétienne semble (selon sa compréhension courante) avoir trouvé une parade assez superficielle (presque une boutade), en rétorquant qu'il en est plusieurs, trois personnes en l'occurrence (ce qui d'ailleurs n'empêche pas la plupart des chrétiens de continuer à parler de Dieu comme d'une personne sans soupçon d'hérésie): sous la forme de la trinité augustinienne, l'Aimant, l'Aimé et l'Amour même, déclaré "personnel" au même titre que les deux autres pour ne pas être en reste et que le compte tombe juste. (Point n'est besoin de revenir ici sur l'abâtardissement de l'upostasiV grecque, fort peu "personnelle", en persona latine, et dans le devenir ultérieur de ce dernier mot, notamment chez Boèce où l'Occident moderne a coutume de saluer l'avènement de son concept de "personne").

 

Vus sous cet angle, la rubrique people, le reality show et le social network apparaissent comme l'aboutissement d'une très longue histoire de (l'auto-destruction de) la pensée occidentale, dont la "fin des idéologies" (même "humanistes") serait la dernière péripétie en date. Il ne s'agit plus de l'homme comme mesure de toutes choses (selon la formule délétère du Sophiste devenue contre toute attente principe édifiant de la modernité), mais de l'individu-tel-qu'il-est comme principium et finis de toutes choses, y compris "l'homme" (genre humain, espèce humaine, humanité), par rapport auquel nul ne saurait désormais se rabaisser au rang d'exemplaire (fût-il exemplaire) et à la fonction dégradante de moyen. Allez donc, à celui-là, parler d'idées !

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5 décembre 2014 5 05 /12 /décembre /2014 18:52

pour les Death angels à venir: tenez-vous à vivre ce qu'il vous reste à vivre ?

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