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18 mai 2018 5 18 /05 /mai /2018 12:55

Dans le collage infini de Godard (cf. billet précédent) il y a cette formule de Denis de Rougemont, dont j'ignore à ce jour la référence et le contexte originels: un sourire qui congédie l'univers (dans Film socialisme, entre autres).

Ce pourrait être un éclat de rire ou un torrent de larmes, une fureur ardente ou une lucidité de glace, un transport d'extase ou un vomissement irrépressible, ou encore un haussement d'épaules comme chez Koestler (srug of eternity). Il y faudrait encore le sourire, en même temps ou juste après, fût-ce trop tard.

Reste que le besoin ou le désir de congédier est coextensif à ce qu'il congédie ou conjure (l'univers, le cosmos, l'être, la différence, l'un, le multiple, le destin, l'histoire, le passé, le présent, l'avenir, le mal, les maux, les mots, les choses, les esprits, les fantômes, etc.) et que cependant il s'y trace, graphiquement et généalogiquement, ligneux lignage en arborescence infinie: panta rhei, panta khorei, danse de l'accueil, de l'adieu et du retour, de l'arrivée et du départ, du point de vue qui attend et qui reste.

Qui congédie qui, ou quoi ? Jamais le même, toujours le même de part et d'autre.

Nunc dimittis, ite missa est, despedimiento, farewell, yirtak pari, monak pari, etc. Apotropaïsme occulte des adieux polyglottes.

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17 mai 2018 4 17 /05 /mai /2018 14:58

Je pleure, tu pleureras, nous aurons pleuré la révolution grammaticale qui n'a pas eu lieu, celle qui d'un grand coup nous aurait affranchi(s) de la tyrannie et des privilèges du nom commun et du nombre corollaires, rendant l'être, l'essence et l'existence à la différence incalculable du verbe, de l'adjectif et de l'adverbe, à l'espacement infini de l'événement et de l'acte, de la qualité inqualifiable et de la quantité inquantifiable. A la vie à la mort sans "la vie" et "la mort", à tout et à rien sans "tout" ni "rien", en somme sans somme.

Et pourtant elle est peut-être en train de se produire, discrètement, invisiblement sous nos yeux. Ne sont-ils pas déjà plus légers, plus insouciants, plus dansants, plus joueurs, plus riants que je ne l'ai jamais été, ces je plus jeunes que moi -- non seulement plus jeunes que je ne le suis mais que je ne l'ai jamais été ?

Langue courante, fluente, à tout le monde et à personne, la seule qui convienne aux choses tant qu'on n'a pas eu l'idée de croire et dès qu'on a cessé de croire qu'elles sont ce qu'elles sont. En acte et en puissance à la fois.

Un goût, un dégoût, un parfum, une forme, une couleur, une phrase, un accord, un geste, un sourire, un rire, l'expression d'un corps ou d'un visage, c'est moins et tellement plus qu'une chose ou qu'une personne; cela peut se désigner d'un nom commun ou propre et y répondre, comme à la question qui ou quoi, mais toujours à côté de la question

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14 mai 2018 1 14 /05 /mai /2018 11:29

Eprouvant dans l'ensemble, quelquefois stimulant (comme on dit) et souvent drôle dans le détail (qu'on additionne les cas d'humour volontaire et involontaire ou qu'on renonce à les distinguer), le visionnage du "Godard politique" (titre du coffret de Gaumont qui va de La Chinoise à Film socialisme) présente un intérêt supplémentaire pour ceux qui, pro-chinois ou non mais nombreux dans ces années-là, ont choisi d'y être cons à leur manière -- laquelle, si différente soit-elle, a toujours un air de famille: l'air con selon l'air du temps. On s'y sent rétrospectivement non moins con ni moins ridicule ni moins honteux (Pravda qui, en 1968, renvoie dos à dos le Printemps de Prague et les chars soviétiques est sans doute à cet égard un sommet de sottise et d'ignominie) mais moins seul face à cet événement, singulier aussi souvent qu'il se répète: le choix de l'inintelligence, d'une inintelligence affine et néanmoins élective, par une intelligence donnée (et même douée). Cela peut s'appeler destin ou, pour un concitoyen de Calvin, mystère de l'élection.

On reste confondu (au rouge ou au noir) par la résolution d'un aveuglement sur le mode de la paille et de la poutre évangéliques: obnubilé par la trahison idéologique qu'il prête aux autres, p. ex. la "Jeune vague" tchécoslovaque des mêmes années, le dieu de la "Nouvelle vague" est incapable de voir la trahison, autrement obscène, que représente à leurs yeux sa propre conversion. -- Par coïncidence, je revois à peu près en même temps La fin du bedeau d'Evald Schorm -- sorte de Don Camillo tchèque, en plus subtil -- et découvre (tardivement) un chef d'œuvre de la génération tchécoslovaque antérieure, Markéta Lazarova de Frantisek Vlacil. -- Et pourtant même malgré lui Godard reste cinéaste jusqu'au bout des ongles: dans le plus pénible pensum il y a toujours un trait de génie formel ou chromatique, un cadrage, une association, un enchaînement, une ébauche de rythme pour le trahir à son tour.

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13 mai 2018 7 13 /05 /mai /2018 13:27

Nul n'est prophète en son pays -- la formule, évangélique avant d'être proverbiale, sans doute déjà proverbiale avant d'être évangélique, dit qu'on n'apprend rien de celui qu'on croit connaître -- et plus généralement de celui qu'on tient pour un semblable; qu'on le méprise ou on l'admire, qu'on le haïsse ou qu'on l'aime, qu'on le recherche ou qu'on s'en écarte, qu'on le vénère ou qu'on le rejette, n'y change pas grand-chose.

Un dieu sûr d'être incompris parmi les hommes a, tant qu'à faire, tout intérêt à s'entourer de disciples et d'ennemis médiocres, avec tout juste ce qu'il faut de variation, dans le sens de la bêtise ou de la perspicacité, pour se mettre en évidence. Il n'est pas question d'éviter l'incompréhension mais de la mettre en scène, de façon à la fois tragique et comique. Pour quel public ? -- Pour la galerie invisible du dissemblable, du divin lui-même oublié et à venir dans des cœurs et des corps humains qu'il s'agit non d'instruire mais de réveiller ou d'inventer.

Il n'est de lecteur et de spectateur que le dieu qui s'ignore.

 

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12 mai 2018 6 12 /05 /mai /2018 10:32

Il en va, dans un sens (sémantique), de la grâce comme de tout nom commun dont le sens est défini, délimité, cerné, discerné par le concours de ses autres et tout spécialement de ses antonymes.

L'intuition de la grâce, si et quand elle arrive, survient à la limite de nombreux domaines (champs, régions, régimes, règnes, royaumes, etc.): politique et gouvernement, droit, loi et justice, économie et comptabilité, travail et production, structure et fonction, technique, logique, raison. Comme l'au-delà d'une frontière incontrôlable autant que chaque domaine entende la contrôler, l'en-deçà d'une autofondation impossible, ou le trou (défaut, lacune, enclave, hiatus, solution de continuité) d'une exception au beau milieu de la règle. En son nom cependant communiquent tous les lieux ou non-lieux où elle est nommée, invoquée ou conjurée.

Cela ne lui confère pas l'unité d'un sens positif -- pas même polysémique. Ce n'est pas pour autant une négativité pure -- impure au contraire: hantée, habitée, peuplée des ombres mêlées de ses contraires. Spectrale et ainsi rayonnante jusqu'en ses dérivés ou synonymes partiels ("gratuité" de l'absence de paiement, de compensation, de retour ou d'échange, de cause ou d'effet, de raison ou d'utilité, "liberté" de l'absence de contrainte ou de nécessité, "don" irréductible à l'assignation d'un donateur, d'un donataire et d'un donné).

Cela s'apparente au motif du saut dont aucune philosophie ne semble faire l'économie -- c.-à-d. forclore de son économie: je le retrouve chez Deleuze à propos de Spinoza, en pleine célébration d'immanence, il est bien sûr beaucoup plus apparent et décisif ailleurs, de Platon à Heidegger en passant par Kierkegaard. On ne passe d'un mouvement de pensée analytique et régressif, de la démarche plus ou moins rigoureuse d'une méthode (dialectique, inductive, scientifique, etc.) qui remonte des effets aux causes, à une affirmation générative, de l'ordo cognoscendi à l'ordo essendi, que par l'inconséquence d'un saut (toujours périlleux) qui est aussi une conversion ou une re-conversion: du logos au muthos, du raisonnement à la narration: saut dans et conversion à, qu'il s'agisse de dire la genèse de l'Un, du Bien, de l'Être ou de l'Événement, de Dieu, de l'Esprit; saut de la foi et dans la grâce

La grâce est une an-archie qui conserve par-devers elle la trace de toutes les arkhai dont elle se dégage et qu'aussi bien elle engloutit; du pouvoir abdiqué de chaque prince ou principe qui s'y est abandonné ou précipité.

 

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11 mai 2018 5 11 /05 /mai /2018 12:51

Jamais indicatif

n'a fondé impératif

que par violence.

De ce que tu fais partie des choses

et de leur cours

il ne s'ensuit nullement

que tu doives

te soumettre ou résister

détruire ou conserver

reproduire ou transformer

améliorer ou détériorer

précipiter ou retenir

infléchir ou renverser.

Sacrificiel

sacerdotal

et théâtral

ni prescrit

ni prescrivant

dans le temple

ou sur la scène

au lieu de l'hiatus

le geste immobilisé

qui également bénit

toute inconséquence.

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10 mai 2018 4 10 /05 /mai /2018 09:56

Pas de perspective sans illusion ni d'illusion sans perspective.

"Dieu" n'est pas une vérité, ni une erreur, ni une hypothèse (au sens banal de ces mots: il suffirait, bien sûr, de les creuser un peu pour qu'il soit tout cela à la fois); mais un phénomène, dont le point de vue de l'observateur éventuel fait partie intégrante, comme l'aurore boréale, l'arc-en-ciel, le chemin de lumière du soleil ou de la lune sur la mer (toutes "images optiques" mais extensibles et transposables, mutatis mutandis, aux perceptions des autres "sens", que celui de la vue n'en hantera pas moins). Il se déplace avec toi comme il diffère de l'un à l'autre, il est ce qu'il est en étant avec, comme le dit simplement et génialement l'Exode (chap. iii, dont il n'est pas indifférent qu'il commence par un mouvement d'écart, un déplacement du point de vue d'un "angle" à l'autre).

Je me souviens d'avoir écrit jadis -- j'avais peut-être commencé à lire Borges, mais assurément pas Heidegger -- qu'il faudrait à la théologie des verbes "impersonnels" de type météorologique: il dieut ou il fait dieu, comme il pleut, il neige ou il fait beau, il fait soleil, il y a du ciel comme tu disais. Apparaître de l'apparence et de l'apparition inséparables, indubitables en leur situation si provisoire soit-elle, si fugaces y soient-elles. Ce qu'en langage "biblique" on appelle la face ou le visage, lui-même changeant et reconnaissable, qui est aussi bien des dieux que des hommes, des animaux et de toute chose. A un certain point de vue, dans un certain enchaînement de points de vue qui fait trace et se communique en réseau, tout le sensible fait dieu comme une évidence phénoménale, "Dieu" est le nom possible, non nécessaire mais adéquat de "l'être" ou de "l'événement" (cf. le Dieu qui peut passer à la limite, dans les Beiträge). Le "Dieu des philosophes", pour autant qu'il est effectivement pensé (de Descartes à Spinoza ou Leibniz p. ex.), n'est pas opposable à celui (ou ceux) d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, de ton ou de tes pères, de Jésus-Christ ou de la foi. Sans doute Abraham n'est pas Spinoza (p. ex.), et le moment de l'opposition (pascalienne p. ex.) a lui aussi sa pertinence, mais la théologie (du polythéisme au monothéisme ou à la philosophie déiste) ne peut en dernière analyse faire l'économie d'aucun de ses points de vue positifs: elle ne consiste à vrai dire qu'en une topographie des lieux saints où le nom de "dieu" a été invoqué, avec ou sans majuscule en français, jamais en vain dans la mesure où là du d-Dieu se donnait effectivement à voir ou à entrevoir, dans un bégaiement du verbe, dans un tremblement de soi et de toutes choses.

On n'interdira certes pas à la théologie d'interdire, de contredire et de nier, dans la mesure où cela appartient aussi à sa méthode. Reste qu'il est de son intérêt d'envisager, autant que possible, les points de vue qui ne sont pas le sien, ne fût-ce que pour constater qu'ils ne sont pas le sien. Il est tout aussi ridicule d'affirmer que ceux qui ne se connaissent pas de "Dieu" en ont un quand même (ce qui peut être fait sur un mode universaliste et bienveillant, à la Rahner, mais aussi sur un mode exclusiviste et agressif, comme je le lisais il y a peu sur une affiche "intégriste": "Dieu existe, que ça vous plaise ou non") que de le nier là où il est nommé (dans l'"hérésie" ou la religion d'en face). Et les innombrables points de vue d'où "Dieu" n'est pas nommé parce qu'il n'apparaît pas ne devraient pas moins l'intéresser. Je repense à la réponse profonde que Tarkovski rapportait de son père sur la question de l'"existence de Dieu": pour ceux qui y croient il existe, pour ceux qui n'y croient pas il n'existe pas. On la préciserait à peine par une circonstantielle de lieu et de temps: et quand un d-Dieu apparaît il est cru, il ne peut pas ne pas l'être; et quand il est cru il apparaît, il ne peut pas ne pas apparaître.

---

Me voilà donc, formellement du moins, à contresens de la fameuse devise de Jung (Erasme, etc., jusqu'à Delphes peut-être): vocatus atque non vocatus deus aderit. Pas tant que ça au fond: car ce n'est pas l'invocation préalable, ou son absence, qui détermine -- le cas échéant -- la manifestation divine et sa nomination subséquente.

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9 mai 2018 3 09 /05 /mai /2018 13:26

L'illusion, ou la vérité, et ses heures, à temps et à contretemps: au matin le regret du néant t'aiguillonne, au soir la fascination de l'être te retient.

Il faut être vieux pour croire aimer la jeunesse, et réciproquement: seule l'horreur de soi, et par extension du semblable, reste à peu près constante.

La Genèse en diagonale: Dieu créa l'homme à son image et s'en repentit. Le temps de se voir et de se (re-)connaître.

 

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8 mai 2018 2 08 /05 /mai /2018 10:03

La fin du meilleur des mondes possibles peut bien être la meilleure des fins possibles, elle n'en paraîtrait pas moins stupide à un observateur extérieur, universel ou pas. Et pourtant logique, logique d'une logique implacable.

On n'arrête pas le progrès -- ni l'expansion de son empire ni l'extension de sa métonymie; ni l'aggravation de sa masse, ni l'accélération de son mouvement par la diversification et la co(i)mplication de ses domaines et de ses acceptions: progrès technique et scientifique, social et culturel, moral et politique, écologique même, se paralysant dans son inertie cinétique par le cercle vicieux de ses aspects variés, parfois antagonistes, invariablement vertueux; toujours plus et toujours mieux jusqu'à épuisement de ses ressources, sauf la chance de moins en moins probable, de moins en moins utile aussi, d'une catastrophe exogène et imprévue qui en interromprait ou en retarderait le procès. Ni révolution ni réaction, ni conversion ni régression qu'il ne recycle dans le sens unique de sa dynamique tacitement suicidaire.

L'implicite est ici tout sauf accessoire. Plus l'événement est avancé et sa conclusion évidente -- looming large -- moins il est visible et audible. Ce qui pouvait encore passer pour prophétie marginale en la matière, du XIXe au milieu du XXe siècle, n'est plus que le symptôme d'un dérangement mental, si savant soit-il -- qu'on le tolère à titre de curiosité divertissante ou qu'on l'enferme pour son propre bien. Dans la république des aveugles les borgnes ne sont plus rois, ils sont fous et rien d'autre.

Reste l'étroite bande passante, jusque dans les dérapages contrôlés de ses marges, d'un discours politique et médiatique responsable, professé et reçu avec d'autant plus de foi obsessionnelle ou hystérique qu'il est proprement incroyable. Que la masse de ses fidèles s'amenuise au point de ne plus guère excéder le nombre de ses officiants, cela lui importe peu dès lors qu'il est le seul tenable et pensable.

 

 

 

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7 mai 2018 1 07 /05 /mai /2018 11:28

Voici mes armes.

Je les rends, je les dépose,

mais comme aussi bien je les laisse

même celles que j'ai cachées, perdues, oubliées

je te les donne

sans prescription d'usage

mais non sans avertissement:

elles sont mauvaises comme elles sont bonnes,

dangereuses autant qu'utiles.

A toi, à tes mains,

à ton désir, à ton besoin,

de prendre ou de laisser,

de garder ou de perdre,

de détruire ou de retrouver,

de composer ou d'inventer,

d'utiliser ou d'oublier

peu ou prou, tôt ou tard

avant que d'à ton tour

rendre et déposer,

laisser et donner.

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