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22 juin 2018 5 22 /06 /juin /2018 09:08

On ne peut pas être et avoir été.
-- Être, c'est précisément avoir été.

(Exemple de contradiction dont les propositions s'excluent formellement et se compliquent subtilement, ne se réfutant mutuellement que pour se relancer l'une l'autre, dans un sens à peine différent à chaque fois, altérant leur itération alternative selon le mouvement perpétuel d'un pas de danse qui seul les réconcilie.)

Le retrait des désirs et des peurs laisse apparaître nue la honte éternelle d'être ou d'avoir été soi, homme, femme, animal, dieu ou tout cela à la fois; le temps que reviennent la mer, la nuit et l'oubli la recouvrir, tel le manteau de Noé.

Les tours et les détours sémantiques et stylistiques, périphrases et circonlocutions comparatives ou métaphoriques, qu'il faut à la langue pour décrire ou évoquer à grand peine un goût, un parfum, un son, un toucher, un plaisir, une douleur, une émotion, un sentiment, une perception, une sensation -- même le sens de la vue auquel elle a pourtant accordé un privilège exorbitant sur tout le reste -- au-delà d'une grille élémentaire d'indexation lexicale, indicative et conventionnelle (salé, sucré, couleurs, etc.) censée fonctionner par référence directe d'une expérience à l'autre dont chacun ne connaît que la sienne donnent, à l'instar de cette phrase, une furieuse envie de silence.

"C'est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases." (F. Blanche, J. Audiard, G. Lautner, Les tontons flingueurs).

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21 juin 2018 4 21 /06 /juin /2018 11:19

Voir

en effet

la ville comme la forêt

la sonate comme l'oiseau

l'amour et la haine comme la danse

la cruauté ou la compassion comme la fleur

tes larmes comme le torrent

ton sourire comme l'éclaircie

etc. etc.

Ni trop osées ni trop usées

les figures

de l'effectif protéiforme.

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19 juin 2018 2 19 /06 /juin /2018 12:22

Il ne lui restait, en somme, de chrétien que ce Christ qui ne l'était lui-même, chrétien et Christ, que par abus de langage, anachronisme ou malentendu; ni le dieu ni l'homme, ni la croyance ni l'Eglise, ni le mythe ni le rite, ni l'histoire ni la morale, ni le salut ni la perdition, mais la fin de tout cela, désirée et reconnue dans la figure étrange et familière du crucifié qui avait eu raison d'une antiquité fatiguée d'elle-même, et qui, même incognito, anonyme ou pseudonyme, emportait encore à son insu une modernité également lasse. Celui-là n'avait besoin ni de sermons ni de miracles, ni de résurrection ni d'ascension, ni de parousie ni d'épiphanie, ni d'aucune instance antérieure, postérieure, supérieure ou extérieure de vérité pour être à tout jamais indépassable à sa façon. Toute écriture, tradition, culture, civilisation lui serait propice, quand il s'agirait de s'en détacher.

κἀγὼ ἐὰν ὑψωθῶ ἐκ τῆς γῆς πάντας ἑλκύσω πρὸς ἐμαυτόν (Evangile selon saint Jean, xii, 32).

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18 juin 2018 1 18 /06 /juin /2018 20:20

Insoutenable légèreté des sentiments, des émotions, des humeurs, des désirs, des appétits, des passions, des goûts, des dégoûts, des attractions, des répulsions, des dispositions, des décisions, des jugements, des idées, des mouvements, des forces et des rapports de force, incapables de soutenir la moindre particule d'être qui n'y périsse aussitôt corps et âme.

Chaque bâillement renvoie le monde à son chaos (avec ou sans le concours de l'étymologie).

ἓν σῶμα : saint Paul (μὴ διακρίνων τὸ σῶμα, 1 Corinthiens xi, 29) et Spinoza (Etenim, quid corpus possit, nemo huncusque determinavit, Ethique iii, 2) ne parlent sans doute pas de la même chose, mais peuvent-ils parler d'autre chose ?

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17 juin 2018 7 17 /06 /juin /2018 11:35

On ne fait pas l'économie du pour, ni de son économie, d'ailleurs peu économe, ni de son commerce de relations et de rapports en tout genre (échange, substitution, représentation, finalité, causalité, etc.) -- à quoi la langue française apporte à peine un supplément de confusion. Qu'on travaille pour ceux qui ne travaillent pas ou pour soi ou sa famille, pour sa terre, sa machine, ses statistiques ou son évaluation, pour son chef, son patron, son entreprise ou son administration, pour ses clients, ses usagers ou ses patients, pour manger, pour vivre, pour l'argent, pour la gloire, pour la postérité, pour Dieu, pour la nation, la société ou l'avenir, chaque pour en cache beaucoup d'autres, plus ou moins compatibles et articulables entre eux. Rien n'échapperait peut-être à l'économie si celle-ci ne s'échappait à elle-même, dans l'entrelacs retors de sa stratification.

Un prêtre peut concevoir son utilité, à l'antique, comme celle du serviteur du dieu, du peuple et du cosmos dont il assure à sa mesure l'ordre et le bon fonctionnement selon le rite prescrit où il représente tantôt l'un, tantôt l'autre, au temple comme en scène: ou, à la façon des mystères, en intendant mystagogue du salut des élus, mi-magicien mi-psychologue; ou, depuis les Lumières, en servant d'un idéal ou en militant d'une idéologie; aujourd'hui, comme acteur social de sa communauté, de sa ville, de son Etat.

Le penseur aussi, je ne dis pas l'enseignant ni l'écrivain, pense pour les autres: pour ceux qu'il fera éventuellement penser, et parfois agir, dans le sillage ou à partir de sa pensée, fût-ce contre elle, pour le meilleur ou pour le pire -- ce dont il n'a aucune idée, surtout s'il communique peu; mais aussi pour ceux qui l'ont fait penser et dont il poursuit, prolonge, transforme, transfère, translate, traduit et trahit la pensée, avec ou sans souci de fidélité ou d'infidélité. Et encore autrement pour ceux qui ne pensent pas, du moins pas comme lui: à leur place à la sienne.

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16 juin 2018 6 16 /06 /juin /2018 14:02

בְּיֹום טֹובָה הֱיֵה בְטֹוב וּבְיֹום רָעָה רְאֵה (Qohéleth vii, 14, cf. ici ou .)

Le point de vue de la contemplation commande une perspective rétrospective, qu'il produit comme il en dépend, en comparant ce qu'il fait comparaître: des plans et des mo(uve)ments successifs, différents et différés, qu'il réunit en un seul, le dernier, fût-il provisoire. Il y va en tout cas d'une technique et d'un artifice cinématographiques, plan large ou surimpression, fondu, panoramique ou plan séquence, qui jouent d'une optique mobile, rémanente et réminiscente; et de son immobilisation en totalité réflexive, propice à la théorie et à une synthèse auditive, voix off ou musique -- flashback visuel, sonore et mobile quelquefois, comme la valse éternelle après l'exécution à la fin de Casque d'or.

Ce qui se trouve en effet dans le malheur, la perte, la défaite, le désastre, l'humiliation, l'impuissance, la souffrance subie ou la passion pâtie, c'est une image inouïe, et pourtant sonore, à la portée de n'importe qui, tôt ou tard; il n'en faut pas plus pour regarder de là toutes choses avec reconnaissance, et pour transfigurer toute fin en happy ending. En rapporter quelque chose dans une suite, dans une vie ou une survie qui continue ou recommence, un bonheur retrouvé ou rafistolé, un pouvoir reconstitué d'action et de décision, c'est beaucoup plus rare et difficile. Comme disait Arletty, Garance ou Prévert, "on ne peut quand même pas tout leur prendre, aux pauvres" -- pas même à celui qu'on a été, si par malheur ou par bonheur on ne l'est plus tout à fait. Cela requiert une autre technique, une autre disposition de miroirs, qui renvoie du présent à une fin (dé-)passée et de là au présent, sous un angle à peine décalé, vers le haut ou vers le bas, en arrière ou sur le côté: il y a du périscope dans l'œil de la connaissance.

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15 juin 2018 5 15 /06 /juin /2018 21:31

Poétiques, l'univers et le monde, la nature et la culture; soleil, lune et étoiles, dieux, anges et démons, paradis et enfers; les montagnes et les forêts, les torrents et les mers, les tempêtes et l'azur; mais aussi les hommes et les femmes, leur vie et leur mort, leur beauté et leur laideur, leur cruauté et leur compassion, leurs vérités et leurs mensonges; leur science, leur technique, leur art, leur logique, leur mathématique, leurs langues, leurs écritures, leurs outils, leurs machines, leurs constructions, leurs maisons, leurs cimetières, leurs temples, leurs religions, leur pensée, leurs idées, leurs mythes et leurs rites, leur histoire, leurs guerres, leurs crimes, leurs désirs, leurs regrets, leurs peurs, leurs rêves et leurs cauchemars, et même leur ennui.

La différence "poétique", par la rigueur de sa règle formelle comme par la licence de son exception, se dégage, du reste dit prosaïque et d'elle-même, pour dire toutes choses de l'unique façon possible: en les transfigurant. C'est par elle que le théâtre même déborde sa propre scène, ses personnages, son décor et ses accessoires. Tantôt se distinguant du fond et de la forme, du sens et du son, de la lettre et de l'esprit, de l'ordinaire et de l'extraordinaire, du bon et du mauvais intelligible, moral ou esthétique, le vers patiemment, furieusement creuse la différence.

ἐν ἀρχῇ ἐποίησεν ὁ θεὸς...

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14 juin 2018 4 14 /06 /juin /2018 22:45

Encore plus manifestement, plus monstrueusement con qu'un droit à la vie, un devoir de vivre: sauf à désespérer de la logique, celui-ci devrait tomber, sous la pression du nombre, avant celui-là. Mais quand le second tombera les jours du premier seront comptés: en attendant, l'absurdité majeure protège la mineure, qui est pourtant, de très loin, la plus lourde de conséquences.

Il n'y a certes pas d'objection contre la vie -- ni, bien sûr, d'argument en sa faveur -- qui tienne hors du terrain para-juridique de la morale (donc du droit et du devoir). Mais au-delà de ce terrain, à supposer qu'il y ait un sens à un tel "au-delà" et que la langue d'en-deçà puisse s'y aventurer, il ne serait plus question de vouloir la vie en général, abstraitement, inconditionnellement, sans la vouloir en même temps telle ou telle. D'une certaine nature, d'une certaine qualité, d'une certaine intensité, d'une certaine forme. Comment veux-tu vivre, ainsi s'annoncerait la question critique de la survie, posée à chacun au bord du précipice (façon Holy Grail). Toute réponse y serait peut-être recevable, même "n'importe comment", hormis l'hésitation; mais on ne répondrait sans hésiter que délesté de toute idée de droit et de devoir -- autant dire qu'il n'y passerait pas grand-monde, et sûrement pas "moi".

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14 juin 2018 4 14 /06 /juin /2018 09:13

Avec la vie, ou la réalité, il aurait eu dans l'ensemble des rapports de bon voisinage; le monsieur poli et discret dont on n'aurait jamais cru ça les lendemains de fait-divers et qui devient ipso facto le suspect type, comme l'avait fort bien vu la sagesse grolandaise.

Le loup des steppes recevait son jugement sans appel de l'aboiement d'un chien, Nietzsche sa reconnaissance de sa marchande des quatre saisons, Pessoa ses destins pseudonymes de l'anonymat de son patronyme, Kafka ses interminables procès de son initiale, Cioran son apothéose d'une double haie de fougères. Le forain qui selon la culture de sa plaisanterie l'appelait "jeune homme" ou "chef" ne savait pas quel verdict ou quel diagnostic, juste et définitif, il prononçait sur lui.

A l'absorption de sa "vie intérieure" qui se traduisait au-dehors en absence pensive ou rêveuse, à la spontanéité de son amusement, de sa distraction, de son inquiétude ou de son embarras devant ce qui l'en réveillait, d'autres voyaient encore l'enfant qu'aucun miroir n'aurait su lui montrer; et le maître qu'il n'avait jamais voulu devenir, parce qu'il l'avait toujours été. Jusque dans l'aversion, le mépris, la pitié ou la cruauté il y avait à son endroit de la déférence, pour une différence qu'il ne pouvait dire sienne et qui l'était pourtant.

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13 juin 2018 3 13 /06 /juin /2018 13:25

La déraison ne reproche à la raison que son universalité, sa clôture, sa contrainte. Non parce que celles-ci seraient fausses ou abusives mais d'autant plus qu'elles sont fondées, justifiées, démontrables. Dans la folie, le rêve, l'utopie, la religion ou l'art elle ne cherche pas d'autre monde, d'autre royaume, d'autre logique, d'autre hiérarchie ou d'autre vérité, ni étrangers, ni adversaires, ni subsumants -- si par malheur elle en rencontre, ou en fabrique, elle n'a de cesse qu'elle ne les ait fait voler en éclats. Elle veut simplement, mais furieusement, respirer.

La vocation à l'inutilité est, Dieu merci, irrésistible.

Quand on a vécu salement, on ne peut guère s'attendre à mourir proprement. On ne désespère pourtant pas de l'ultime gag d'un coup de grâce.

Salopes de victimes qui ne partagent même pas nos remords, nos repentirs, nos compassions.

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