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17 février 2016 3 17 /02 /février /2016 11:18

Le voyageur qui grimpe vers la crête, le col ou le sommet, et celui qui en redescend par l'autre versant, peuvent bien faire le même chemin ou être le même homme, jamais ils ne se voient ni ne s'entendent.

(De l'incommunicabilité des aspects verbaux, imparfait-présent-futur d'une part et passé-parfait-accompli de l'autre: il n'y a pas de temps réel pour qu'ils se rencontrent. Diachronie radicale ou discordance des temps.)

La lumière est le songe du feu, la cendre son réveil. Seule l'illusion vaut le détour.

(Exode, chapitre iii.)

Entre l'amour du vivant et celui de la vie, il y a un malentendu tragique; comique aussi, bien entendu.

(Le film Now and Forever, de Henry Hathaway [1934], a pour héros [Gary Cooper et Carole Lombard, sans Lubitsch, hélas !] un couple d'escrocs sympathiques [cf. le génial Trouble in Paradise, alias Haute pègre, dudit Lubitsch, deux ans plus tôt], dont la complicité repose sur un dédain explicite et commun pour la vie, séparés puis réunis par une enfant [Shirley Temple]. C'est un mélodrame.)

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3 février 2016 3 03 /02 /février /2016 16:44

Il est bien plus facile de faire parler les morts que de les faire taire.

Le principal méfait des vices n'est pas d'abréger la vie, mais de la prolonger.

Tu mourras: tel est l'unique impératif catégorique. Tout le reste est commentaire.

Le ciel étoilé est un constant outrage à magistrat: bonne raison d'éclairer les villes.

Je m'étonne depuis fort longtemps qu'on n'ait jamais songé à imposer aux journaux télévisés l'affichage en temps réel de l'accroissement net de la population mondiale (en moyenne 228.000 personnes de plus chaque jour): ce seul chiffre mettrait toute l'actualité de la journée en perspective. Mais sans doute craint-on de décourager les assassins.

L'homme, ou la liberté: une aliénation inaliénable.

Il n'y a pas d'alternative.

Dans l'instant poétique se dévoile, furtivement, l'unité de l'être et du langage. Il faut une illusion pour en dissiper deux.

Toute déviation esquisse la perfection du cercle.

L'erreur est humaine parce que l'homme est une erreur : reste la vérité de l'errance.

Abnégation, ou masochisme, de cette humanité qui porte à abréger l'agonie des animaux et à prolonger la sienne ?

L'ennui est l'école de l'esprit, pour les bons élèves comme pour les mauvais: mais là aussi les premiers sont les derniers.

Tous les prétextes sont bons pour s'écarter de l'usage et du sens communs -- ne fût-ce que pour y revenir par un autre chemin. Sans ce détour, on ne saurait en apprécier l'indépassable profondeur.

Irréversible, irréparable, irrémédiable, irrémissible, irrésistible, irrépressible: et on dira que la vie n'a pas de sens.

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28 janvier 2016 4 28 /01 /janvier /2016 12:22

Faute de mieux, l'époque est au moins fertile en intertextualité aléatoire (c'est presque un pléonasme): celle que débitent en temps réel et à flux constant les anciens et nouveaux media -- publicité croisant ou interrompant toute sorte d'"information" ou de "message", "chaînes d'information continue" où une bande de texte autonome, quoique homogène (il s'agit toujours d'"information"), sous-titre une image et un son qui n'ont d'autre rapport avec elle, sauf coïncidence thématique réelle ou incongrue, que la répartition -- moira -- de l'écran) -- n'a pas aboli la précédente, qui s'opérait diachroniquement dans la mémoire du lecteur-auditeur-spectateur, par rémanence ou réminiscence.

C'est ainsi que peu après la relecture de L'Enracinement (voir quelques billets plus... bas) je suis tombé, dans la salle d'attente d'une administration, sur un tract officiel consacré à la radicalisation. Même racine, sinon même radical, pour ces deux faux jumeaux qui se partagent la même métaphore rhizomique -- et qui de surcroît se sont présentés à moi de part et d'autre du passage de l'an, en décembre et en janvier, tel Janus à double face.

L'ambiguïté virtuelle de la racine, végétale et nourricière, et de la radicalité destructrice et mortifère ne le cède en rien à celle du pharmakon, remède et poison, le plus souvent végétal et vénéneux, dont la vertu curative est également puissance toxique. On ne saurait la neutraliser sans l'arracher, la déraciner ou l'éradiquer -- sans se retrancher en même temps de la profondeur et de tout son potentiel vital. Tant bien que mal la "radicalité" cherche des racines, de préférence les siennes, propres, homogènes, autogènes, endogènes, idiogènes, parfois cependant hétérogènes ou exogènes, comme dans la greffe de conversion -- de même que, par une métonymie analogue mais plus artificielle, le "fondamentalisme" s'assure son fondement ou sa fondation. Que ce soit dans le passé réel ou fantasmé d'une tradition ethno-religieuse ou dans le présent gnomique d'une vérité idéologique supposée porteuse d'avenir universel -- nous eûmes naguère un radicalisme anticlérical et progressiste.

Qu'opposer à cette recherche, sinon la forclusion de son sens, de sa direction même ? Toute quête de profondeur est pathologique et pathogène, voilà le message officiel jamais énoncé mais mille fois répété par la bien-sur-veillance médico-policière généralisée et (c)rétinisée en réseau panoptique. Toute identité qui se cherche au-delà, en-deçà, au-dessous ou au-dessus, ou même à l'intérieur de son état-civil est d'une citoyenneté suspecte. C'est un mauvais sujet, mal assujetti, que celui qui ne coïncide pas exactement avec lui-même -- il émane de son "jeu", au sens mécanique du terme, une vibration néfaste: suspect de double jeu, il se spectralise dans le fantasme de la cinquième colonne -- même quand on ne situe pas très bien les quatre autres.

Les symptômes de la radicalisation indiqués au public biensurveillant -- tout un chacun se retrouvant ainsi en position et en devoir de diagnostiquer le mal, au moins à titre de prodrome, au service de la prophylaxie générale, -- sont multiples et cumulatifs, comme dans toute pathologie: plus il y en a, plus il urge de "signaler" aux autorités compétentes ("Agissez sans attendre", est-il prescrit en gros dès la première page). Les voici:

- rupture avec la famille, les anciens amis, éloignement de ses proches;
- rupture avec l'école, déscolarisation soudaine;
- nouveaux comportements dans les domaines suivants:
-- alimentaire;
-- vestimentaire;
-- linguistique;
-- financier;
- changements de comportements identitaires:
-- propos asociaux;
-- rejet de l'autorité;
-- rejet de la vie en collectivité;
- repli sur soi;
- fréquentation de sites internet et des réseaux sociaux à caractère radical ou extrémiste;
- allusion à la fin des temps.

Cette liste, à l'identique, aurait pu figurer quelques années plus tôt dans un tract d'information sur les "sectes"; un peu plus tôt encore elle aurait pu viser, à peu de choses près et de façon tout aussi nébuleuse, les mouvances d'extrême-gauche. Elle pourra servir demain contre d'autres radicalités, de type écologique par exemple. Ni le mot "islam" ni le mot "musulman" ne figurent dans le document, seuls "djihadisme" et "djihadiste" (le site de référence étant stop-djihadisme.gouv.fr) indiquent formellement sa cible actuelle -- sans que le "djihadisme" en question soit d'ailleurs rapproché ni distingué de la notion de jihâd à laquelle tout musulman a affaire, sans préjudice de son interprétation.

Tout se passe comme si la société occidentale, fière de sa laïcité mais jamais assez sûre d'elle-même dans sa recherche effrénée de sécurité, se murait et se calfeutrait contre toute menace provenant non seulement d'une extériorité latérale, de "l'étranger" forcément barbare, mais plus encore contre celles qui arriveraient sournoisement d'au-dessus ou d'en-dessous, de la transcendance ou de la profondeur, se retranchant du même coup de toute source possible de questionnement et de renouvellement... radicaux.

Pour compliquer encore l'intertextualité, une "information santé" annonçait ces jours-ci l'invention d'un bracelet décelant et signalant les signes avant-coureurs de la "dépression": ce sont probablement en partie les mêmes.

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24 janvier 2016 7 24 /01 /janvier /2016 17:59

Une eschatologie sérieuse, qui abolirait pour de bon tout espoir et tout souci de l'avenir, finirait par retrouver le sourire : le temps de la fin pourrait être celui de l'action de grâce(s).

L'éternité au cœur (Qohéleth): il était certes vain de la chercher ailleurs, mais tout autant de chercher à l'en extirper.

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21 janvier 2016 4 21 /01 /janvier /2016 15:42

Le pessimiste, heureusement pour lui, ignore à quel point il a raison. S'il ne caressait un secret espoir d'être détrompé, on ne le remarquerait même pas comme tel.

Je ne suis plus qu'un mauvais souvenir. S'il n'était pas si mauvais, ce serait encore plus triste.

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17 janvier 2016 7 17 /01 /janvier /2016 16:23

Les pires catastrophes sont celles qui n'arrivent jamais.

Chaque fois que l'homme s'affranchit de l'illusion perspectiviste, il s'y assujettit plus solidement -- en changeant de sujet, ou de point de vue: ce qu'il refuse à l'individu, il l'accorde à une collectivité, nation, civilisation ou espèce, ou à une (autre) abstraction -- et puis c'est le contraire. Ainsi progresse inexorablement l'esprit, tel un cancer, aussi longtemps qu'il reste quelque part des yeux à fermer.

Dieu merci, l'ennui est mortel.

Je perds décidément la mémoire proche: je ne sais plus si c'est chez Simone Weil ou chez Jankélévitch (!) que j'ai retrouvé ces jours-ci cette citation de Flaubert à Louise Colet: "De toute la politique, il n'y a qu'une chose que je comprenne, c'est l'émeute". Je retrouve ici la lettre, qui est toute belle: http://www.bmlisieux.com/litterature/flaubert/loucol03.htm

Dans la première partie de l'excellente trilogie d'Axel Corti, Wohin und Zurück (1986-88), d'après le récit de Georg Stefan Troller, le personnage de "Gandhi" (Armin Mueller-Stahl) dit qu'il a cessé de croire à "avoir raison" (recht haben), et qu'"être juste" ou "vivre justement" (recht sein / leben) lui paraissent plus importants. Il n'est sans doute pas au bout de ses peines, mais c'est le premier pas qui coûte.

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7 janvier 2016 4 07 /01 /janvier /2016 08:56

C'est sans doute -- du moins je le suppose après coup -- le débat français en cours sur la "nationalité" qui m'a donné envie de relire L'enracinement de Simone Weil. Texte d'actualité, d'une tout autre actualité que la nôtre (1943), et cependant aujourd'hui comme alors d'une semblable inactualité, tant dans ses propositions politiques que dans son architecture philosophique et théologique -- ces deux "catégories" étant quasiment indiscernables chez l'auteur(e).

A l'instar d'un Ezéchiel "voyant" de Babylone le temple et l'Israël futurs tels qu'ils ne seront jamais, Simone en exil à Londres rêve la République française (à défaut de monarchie moralement légitime, un soupçon de regret pointe à cet égard chez cette grande lectrice de Bernanos précédemment engagée dans le camp républicain de la Guerre d'Espagne) d'une Libération toujours à venir: démocratie représentative sans partis, les associations d'opinion (et de pression) étant neutralisées de fait par l'interdiction rigoureuse de toute censure interne; liberté absolue de pensée et d'expression, compensée par une tyrannie de la vérité qui frappe d'indignité tout mensonge, toute tromperie délibérée, toute erreur même imputable à la négligence: les travailleurs (manuels) qui ont un accès réduit à l'instruction n'ont pas de temps à perdre avec la mauvaise foi ou la coquetterie d'intellectuels qu'ils nourrissent uniquement parce qu'ils ont besoin de s'en nourrir; non pas des "droits de l'homme", mais des "devoirs envers l'être humain", au premier rang desquels celui de leur fournir une "patrie" ou une "nation" qui soit bien plus qu'un "Etat": une terre nourricière de l'âme -- la prolifération de la métaphore alimentaire frappe dans ce corps déjà condamné à l'inanition. Et avec ça une surprenante compréhension d'Hitler imaginé -- selon son autobiographie -- en adolescent famélique errant dans une Allemagne affamée, coupable seulement d'avoir eu le courage de tirer les plus extrêmes conséquences d'idéaux pervertis -- notamment de "grandeur" -- qui étaient ceux de toute l'Europe, et supposé en outre avoir emprunté ses obsessions raciales à ses victimes privilégiées (Simone Weil est au moins bien connue comme cas notoire d'antijudaïsme juif); une certaine sympathie aussi pour les idéaux de la "Révolution nationale" de Vichy (notamment le travail dans sa version corporatiste) supposés mal compris et appliqués par celle-ci. Quelques traits relevés presque au hasard, mais qui suffiront à écarter tout soupçon de consensualité de cette figure invoquée et citée de toutes parts avec vénération, mais bien peu lue.

"Patrie" (c'est étonnant qu'on n'ait pas encore songé à dire "matrie"; mais le genre féminin et la locution "mère patrie" compensent peut-être cette lacune) et "nation" (rapportée à la naissance comme nature et nativité) pourraient en effet être des mots vrais et beaux (dans le platonisme de Simone Weil, c'est tout un). Pourquoi m'est-il impossible de les entendre ainsi ? Leur captation par l'Etat, à la mesure de l'extension de celui-ci, telle que la dénonce Simone Weil (bien en-deçà de la Révolution française et de Louis XIV, jusqu'à Charles VI notamment), y est sans doute pour beaucoup. La maternité, différente, de la langue (mère folle à lier, écrivait Derrida dans Monolinguisme de l'autre) et de la terre (le pays chaque dé-limité par l'horizon à un paysage) ne m'a certes jamais été indifférente, mais l'attachement que je lui porte est aussi équivoque que profond. Et absolument, excessivement peut-être, séparée de l'Etat et de son histoire officielle.

C'est par une polysémie ruineuse (comme l'est toute ambiguïté en droit) que la même "nationalité" désignerait tantôt (c.-à-d. pour les uns) un simple état de fait, marque administrative indélébile du hasard de la naissance ou des aléas de l'existence, tantôt (pour les autres) une adhésion même minimale à quoi que ce soit (Etat, régime, constitution, idéologie, histoire, projet). Trancher la contradiction dans le sens du second terme relèverait à la lettre d'un totalitarisme que les totalitarismes historiques ont rarement réalisé -- on a pu vivre sous une monarchie absolue sans être monarchiste, sous un fascisme sans être fasciste, sous un régime communiste sans être communiste, même si ce n'était pas le plus commode. Il peut paraître étrange que des démocraties montrent à cet égard moins de réserves (c'est depuis longtemps le cas de l'Amérique avec ses serments d'allégeance au drapeau ou à la constitution, imposés non seulement aux nouveaux citoyens mais dans les écoles). Un excès de bonne conscience découlant de l'universalité prétendue des idéaux démocratiques, humanistes, laïques, tournerait-il à l'inconscience de leur dérive totalitaire ?

Seule une patrie ou une nation du hasard, que celui-ci soit du "sol" ou du "sang", a quelque chance de désigner le lieu d'un enracinement dans la grâce: précisément parce qu'on ne l'a pas "choisie" et qu'on ne s'est, à son égard, engagé à rien: elle seule, malgré nous, nous engage.

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24 décembre 2015 4 24 /12 /décembre /2015 13:30

L'extinction idéale: venir mourir -- comme on disait, à la pétanque, de la boule bien pointée qui vient mourir sur le cochonnet; ou plus joliment Ferré, dans C'est extra, de la fille qui tangue et vient mourir -- en ayant épuisé toute énergie cinétique ou motrice, élan, ressort ou balancement: désir et angoisse, amour et haine, reconnaissance et ressentiment, fierté ou honte, admiration ou mépris, appétit ou dégoût. Condition imaginaire mais rigoureuse d'une mort égale ou indifférente, sans vertige ni saisissement, où l'on entrerait -- ou sortirait -- "de plain-pied", ou "à température".

L'ascèse ressemblerait à cet égard à ces "jeux de société" -- jeu de l'oie par exemple -- qu'il fallait, pour "gagner", terminer exactement: un point de trop vous renvoyait d'autant en arrière, et les fins de partie semblaient interminables, bien plus longues que le parcours et ses incidents aléatoires qui vous ramenaient à la case départ, dans le puits ou en prison. Angoisse du nombre, désir du pair-et-quitte (even) et peur de l'impair-et-manque (odd) en dualisme, qui à elle seule rendrait la bonne fin impossible, surtout à qui la désire.

Et pourtant il faut croire qu'à la fin, tout le monde y arrive. Croire en effet qu'à ce point la mort elle-même, autrement dit la vie, accomplit ou parachève d'un coup -- de grâce -- ce qui demeure jusqu'au bout impossible pour "l'individu", "l'âme" ou "le sujet" tragiquement ou comiquement piégés dans leur im-mortalité d'artifice; plus ou moins brutalement et douloureusement sans doute, mais sans faute, avec une sûreté et une égalité qui rend après coup risibles tout plan et toute préparation préalables, en les mettant sur le même pied que l'impréparation absolue. Dans la singularité du zéro comme de l'un (le même denier pour tous, cf. Matthieu xx), les premiers sont les derniers, le jugement rigoureux et équitable, le rire encore meilleur.

La morte è una virtuosa: ogni sua esecuzione è perfetta. (M. Manco).

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15 décembre 2015 2 15 /12 /décembre /2015 18:45

actif, passif, moyen, pronominal: agir, pâtir, être agi, s'agir -- insensiblement le trio vocal tourne au quatuor, et le personnel à l'impersonnel.

être, auxiliaire du pronominal, réciproque ou réfléchi, comme du passif -- tout un programme.

mourir était devenu pour lui une question de survie.

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7 décembre 2015 1 07 /12 /décembre /2015 19:09

L'image de l'excès de miel dans les Proverbes bibliques (xxv, 16, 27; xxvii, 7) me revient curieusement : l'Occident est en train de vomir 70 ans de paix, de prospérité, de sécurité, de santé, en un mot de douceur excessives -- et peut-être des siècles de mièvreries morales en tout genre. Comme tout vomissement c'est un processus pénible et involontaire, compulsif et spasmodique, co-impliquant malgré eux des acteurs et des actes antagonistes. Cela se fait sans que personne ne le veuille, quoique tout le monde y contribue.

Si l'attrait d'une fraction de la jeunesse -- préalablement désislamisée, mais aussi bien déchristianisée et délaïcisée, dégauchisée et décarriérisée, décriminalisée même dans certains cas -- pour le jihâd violent (ce qui n'est pas tout à fait un pléonasme) est un moment de ce mouvement, le vertige d'une démocratie représentative épuisée, prête à se rendre -- avec son armée et sa police surarmées, matériellement et juridiquement -- aux mains de néo-fascismes à peine déguisés en est un autre. Leur corrélation se joue à plusieurs niveaux: pas seulement, comme on pourrait le croire, parce que celui-ci prétend répondre ou réagir à celui-là, mais parce que les deux participent d'un même écœurement, consécutif à un abus prolongé de douceurs de plus en plus sucrées en fin de repas. Humanisme et droits de l'homme, entente, intelligence, compréhension mutuelles, liberté, égalité, fraternité, socialismes, humanitarismes, pluralismes, tolérance, différences et diversité, prévention et proximité, civilité et citoyenneté, vivre-ensemble, tous ces mots suscitent une nausée, et les derniers arrivés en tout premier lieu -- tel l'ultime bonbon à la menthe qui fait exploser Mr. Creosote dans The Meaning of Life des Monty Python. Nausée viscérale comme il se doit, et irrépressible même pour ceux qui tentent encore de la réprimer. C'est stupide, c'est injuste, c'est ainsi.

Je repense à la formule de Pompidou, au moment de la grâce de Touvier, parlant de l'occupation allemande comme de "ces temps où les Français ne s'aimaient pas". Ils faut croire qu'ils se sont tellement aimés depuis qu'ils brûlent maintenant d'envie de se foutre sur la gueule. Mais la guerre civile vers laquelle ils se dirigent n'aura sûrement pas la lisibilité mythique de celle d'Espagne ou de celle entre "résistants" et "allemands" ou "collaborateurs" -- et probablement pas non plus l'illisibilité totale de la "guerre de chacun contre tous" telle que l'imaginait Hobbes. Ses lignes de front seront extraordinairement complexes, en raison de la multiplicité des objets de haine potentiels et de leur impossibilité à se ranger en deux "camps": "terroristes", "délinquants", "jeunes", "immigrés", "français de souche", "musulmans", "juifs", "chrétiens", "intellectuels", "bobos", "homosexuels," "gauchistes", "fascistes", "chômeurs", "syndicalistes", "patrons", "financiers", "riches", "beaux", "flics", "chiens de garde", "familles", "flics", "vieux", "gros", "moches", toutes les catégories seront susceptibles d'y devenir une cible pour plusieurs autres, jamais les mêmes.

C'est sa sécurité même que le corps social vomit à son insu, alors que les médecins se pressent autour de lui pour lui en faire ingurgiter davantage. Vomir, certes, peut être sain, même si ce n'est pas agréable. Quand ce n'est pas le symptôme d'un mal incurable en sa phase terminale, où c'est la vie et la santé même qui se vomissent.

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