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17 novembre 2010 3 17 /11 /novembre /2010 10:06

Je n'avais pas revu Stalker (Andrei Tarkovski, 1979) depuis si longtemps que j'ai fini par en rechercher des extraits sur le net et, à ma surprise, par l'y trouver en intégralité: http://video.google.com/videoplay?docid=4947870279914964017#

Malgré une qualité visuelle et sonore moins que médiocre, que je ne recommanderais à personne pour une première vision (c'est le mot), c'était assez pour un pèlerinage.

Par rapport aux expéditions (ou aux processions) précédentes, mon regard est revenu de la fascination (intacte, au demeurant) pour l'anarchitecture chaotico-initiatique de la Zone vers les visages, et surtout celui que le titre désignait d'emblée: ce stalker, indissociablement mystagogue et mystificateur, passeur, pasteur et imposteur, plus que jamais ses ressemblances avec le Dr. Vogler du Visage (Ansiktet, 1958) de Bergman m'ont frappé. L'un et l'autre (c.-à-d., aussi, les personae d'Alexandre Kaidanovski et de Max von Sidow) portent la lassitude océanique de leur vocation et de leur savoir-faire, de la conscience malheureuse de l'illusion et du malentendu inhérents à leur art et à son artifice, du flux et du reflux continuels de leur foi vacillante et de leur doute submergeant. L'un et l'autre sont humiliés, et surtout par la Science, la même au moins par le nom, l'article et la majuscule (même sous-entendus), jusqu'à devoir la supplier, mendier pitoyablement à ses pieds une grâce et une pitié dont elle est par définition incapable. Encore le Professor de Tarkovski est-il arrêté in extremis dans son projet de destruction par un "principe de précaution" (avant la lettre?): ne rien faire qui soit irréversible -- en bon scientifique il n'est heureusement pas philosophe: irréversible, qu'est-ce qui ne l'est pas, qu'est-ce qui ne l'aura pas été?

(Hors-sujet, jeu d'intertextualité historique et personnel: si beaucoup, quelques années plus tard, ont lu dans Stalker une prémonition de Tchernobyl -- chaque génération lit comme elle peut --, je regardais, moi, il y a quelques jours, le documentaire d'Esther Hoffenberg, Au pays du nucléaire, où le concept d'irréversibilité jouait un rôle, si j'ose dire, central.)

Tarkovski relève, entre autres, (de) la tradition (cf. http://oudenologia.over-blog.com/pages/risques-des-textes-risques-du-livre-2633047.html ) qui consent à l'inscription du "spirituel" -- et, dans son cas, de "l'art", en cette bande d'intersection étroite et infinie où l'on ne peut nommer l'un sans l'autre -- dans le pathologique. J'entends par là cette marge hospitalière où la norme sanitaire du logoV évacue et admet ses restes patients, souffrants, morbides ou dangereux, diagnostiqués comme anomalie, déviation, détournement, perversion, infection ou affection, défaut-lésion ou excès-tumeur, bénigne ou maligne; en un mot symptôme, différence significative, mais d'un signe doublement négatif: mal signifiant d'un mal signifié, et ainsi ouvert et offert, entre deux maux, à toutes les rémissions et à tous les renversements suspects. Il en parle, certes, mais comme l'ordre parle d'un désordre, en l'ordonnant par catalogage taxonomique, en attendant d'y mettre bon ordre.

L'avenir qu'annonce le visage du stalker est peut-être l'essence éternelle -- seule éternité en puissance et en acte, c'est-à-dire en jeu -- de la vocation au revers de toute invocation et de toute évocation; vocation d'autant plus claire qu'elle est précaire, d'autant plus reconnaissable qu'elle n'est pas officiellement reconnue: simultanément malédiction et bénédiction, réprobation et élection, condamnation et grâce, vouée à retourner encore et encore dans les parages interdits de la catastrophe, aux confins du langage, où le réel et l'imaginaire se côtoient sans coupure et sans médiation, en ce non-lieu de terreur, de torpeur et d'hébétude, où il n'y a et ne se passe peut-être rien. Croire, fût-ce faiblement et par l'intermittence de cet "organe atrophié du croire ", que dans ce peut-être gît l'unique ouverture possible du "monde", cela vaut et vaudra encore pour quelques-uns toutes les hontes et toutes les culpabilités, insupportables sans le consentement bienveillant d'une féminité qui en est tenue à distance alors qu'elle, ou justement parce qu'elle en est peut-être le coeur.

 

(Suite: http://oudenologia.over-blog.com/article-au-miroir-du-voeu-61763088.html )

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