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5 mars 2013 2 05 /03 /mars /2013 23:26

La vie aura-t-elle été si courte ? La survie, en tout cas, lui aurait paru bien longue.

Qu'aurait-elle été, sa vie, si elle avait (vraiment) pris fin ce jour-là, où il avait (vraiment) cessé de vivre ? (Vraiment ? vraiment: comme dans Les visiteurs du soir, ces deux-là n'étaient ni moins véridiques ni moins menteurs l'un que l'autre, si différent que fût leur genre de vérité et de mensonge.) Ou si, au contraire, il ne l'avait pas abandonnée à elle-même, qu'il ne s'en fût jamais dessaisi ou qu'il se fût, comme on dit, ressaisi -- had he pulled himself together ?

Une énigme ignorée, inaperçue, qui ne se serait posée, proposée ni présentée comme telle à quiconque. Pas même à lui, du reste, pour qui sa vie, si problématique qu'elle fût à ce point n'était, rien moins qu'énigmatique.

A cela la survie n'aurait presque rien changé. Elle aurait surchargé la figure de traits, de retouches et de recoupements superflus, compliqué le propos de développements, de nuances et de contradictions à l'avenant. L'œuvre achevée tôt ou tard en serait sans doute différente, elle n'en serait pas plus ni moins visible, lisible, déchiffrable, compréhensible, classable, étiquetable, mémor(is)able et oubliable -- sans faire davantage énigme; sans faire moins mystère non plus, sans doute, mais mystère enfoui, que plus rien ni personne ne songerait à mettre au jour et ne saurait dévoiler comme se dévoile ou révèle le mystère, lorsque sans s'élucider le moins du monde il s'éclaircit. 

Il devait bien se faire à cette idée de prime abord déconcertante: de sa survie, il aurait été, lui, bénéficiaire ou victime, en tout cas destinataire, unique -- quoique fantomatique. Tout ce qui avait pu en résulter autour de lui de bienfaits et de méfaits, d'inspiration et de déception, s'en détachait de soi-même comme corps étranger: peu importait que cela vînt de là ou d'ailleurs. En cessant de vivre, il avait renoncé définitivement à tout droit d'auteur, à toute paternité, à toute capacité créatrice, donatrice ou destinatrice -- à toute originalité et à toute responsabilité. Non seulement sur la part pour ainsi dire posthume de "ses œuvres", qui ne lui aurait jamais appartenu, mais aussi sur "sa vie" antérieure, pour autant qu'il l'avait effectivement cédée. Rien de tout cela ne lui revenait plus, hormis peut-être l'acte central de cessation, de cession ou d'aliénation, qu'il n'avait guère fait que souscrire, plus ou moins intelligemment et lucidement, mais consciemment et de bon cœur. Il n'était plus question pour lui, ensuite, de donner ni de refuser. (L'ironie étant que "dans la vie" il n'aurait jamais eu autant à produire, à créer, à engendrer et à signer, de son nom propre ou de pseudonymes, et même à défendre son droit de propriété intellectuelle ou autre, que dans cet état second d'impropriété spectrale.)

http://oudenologia.over-blog.com/article-topos-prophetique-103563405.html

Cependant, tout ombre de lui-même qu'il fût devenu,  il demeurait à son corps défendant destinataire et récipiendaire irévocable, qui plus est à titre exclusif, de cette totalité dont il s'était dépossédé et qui lui était depuis lors adressée, à lui seul, par personne et de nulle part. Son unique lecteur en somme, condamné comme au secret à la religion, à la reliure, à la relecture, au recueillement sans fin de son propre recueil désormais anonyme, qui à défaut d'être de lui n'aurait été que pour lui. Grâce non exempte de cruauté, grâce tout de même, et par là réjouissante, qu'il ne pouvait qu'accepter et recevoir, sans rien pouvoir en faire. Cela pouvait sembler égoïste, indécent même au regard de tous ces vivants qui ne demandaient qu'à vivre leur vie, comme il avait jadis voulu vivre la sienne. Il était pourtant dans la nature de la grâce que nul ne se rapportât à elle, au royaume des ombres comme sous le soleil des vivants, qu'en récepteur reconnaissant. Peut-être fallait-il être ombre dans la nuit pour y entendre la promesse et l'heureuse annonce (epaggelia, euaggelion) de la disparition à venir: dans le sort le plus commun la destination la plus personnelle. Que pouvait-on espérer de mieux, ombre n'abritant plus rien ni personne, que de s'évanouir enfin dans la lumière du matin ?

[Il se souvint de sa réaction spontanée, vingt-cinq ans plus tôt, au discours de son professeur de théologie calviniste, qui lui avait exposé sa vision assez particulière, quasi "annihilationiste" quoique "orthodoxe" d'intention, de "l'enfer": où les "réprouvés" reconnaissaient finalement la lumière divine de telle sorte que dans "l'éternité" ne subsiste aucune ombre. Il s'était exclamé, en substance: "Je crois bien n'avoir jamais espéré d'autre salut que cette perdition-là !"

Lui revenait aussi, dans le désordre, une série de textes matinaux qui s'étaient regroupés de façon singulière dans sa mémoire, en dépit de leur thématique hétéroclite. Il se contenta de les relire en les recopiant, sans chercher à en raisonner l'association:

וּכְאוֹר בּקֶר יִזְרַח-שָׁמֶשׁ בּקֶר לא עָבוֹת מִנגַהּ מִמָּטָר דֶּשֶׁא מֵאָרֶץ. (II Samuel, xxiii, 4)

יִחְיוּ מֵתֶיךָ נְבֵלָתִי יְקוּמוּן הָקִיצוּ וְרַנְּנוּ שׁכְנֵי עָפָר כִּי טַל אוֹרת טַלֶּךָ וָאָרֶץ רְפָאִים תַּפִּיל (Isaïe xxvi, 19)

אֲנִי--בְּצֶדֶק אֶחֱזֶה פָנֶיךָ אֶשְׂבְּעָה בְהָקִיץ תְּמוּנָתֶךָ (Psaume xvii, 15)

Καυχάσθω δὲ ἀδελφὸς ταπεινὸς ἐν τῷ ὕψει αὐτοῦ, δὲ πλούσιος ἐν τῇ ταπεινώσει αὐτοῦ, ὅτι ὡς ἄνθος χόρτου παρελεύσεται. ἀνέτειλεν γὰρ ἥλιος σὺν τῷ καύσωνι καὶ ἐξήρανεν τὸν χόρτον, καὶ τὸ ἄνθος αὐτοῦ ἐξέπεσεν καὶ εὐπρέπεια τοῦ προσώπου αὐτοῦ ἀπώλετο: οὕτως καὶ πλούσιος ἐν ταῖς πορείαις αὐτοῦ μαρανθήσεται. (Epître de saint Jacques, i, 9ss).]

 

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