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28 juillet 2010 3 28 /07 /juillet /2010 18:00

La laïcité à la française a réussi depuis si longtemps à arracher l'éducation à l'emprise de l'Eglise qu'elle va devoir un jour ou l'autre affronter, tard et seule, un problème que les éducateurs seront sans doute, du fait de leur éducation laïque précisément, les derniers à reconnaître et les plus mal placés pour résoudre.

Enseigner l'histoire du "fait religieux", de façon à relativiser l'instruction religieuse de ceux qui en ont reçu une, est certainement utile. Le revers de la médaille, c'est que cet enseignement, de par la position neutre et extérieure qu'il adopte nécessairement à l'égard des religions, décerne automatiquement un brevet de supériorité culturelle implicite à ceux qui n'en ont pas reçu. Ceux-là y enrichiront "leur" culture moderne (c.-à-d. post-religieuse) en apprenant ce qu'elle doit aux religions qui l'ont précédée: ils n'en sont pas moins placés d'emblée du "bon" côté, celui du professeur et de sa neutralité ex officio, quand bien même par exception celui-ci se trouverait être, à titre privé, croyant et pratiquant. Avec lui ils abordent la religion comme un phénomène essentiellement étranger ou dépassécomme lui ils regardent forcément de haut, avec une condescendance charitable et une curiosité exotique dans le meilleur des cas, ceux qui en sont "encore" là. S'ensuit inévitablement une pression tacite sur les élèves issus de familles ou de "communautés" religieuses, qui conduira quelques-uns d'entre eux à revendiquer "leur" religion comme une "identité" simplificatrice, et les autres à s'en dissocier de façon également simplificatrice -- afin de ne pas passer pour des demeurés. Quant à ceux qui sont "déjà du bon côté", cela ne les préparera nullement à reconnaître en eux-mêmes un éventuel désir de religion, désir qui peut paradoxalement naître ou se développer à l'occasion de cet enseignement. Qui sait en effet l'attrait que la description colorée de tel ou tel rituel familial ou communautaire peut exercer sur un enfant qui n'a jamais rien connu de semblable? ou quel effet l'évocation de la prière dans les diverses traditions religieuses peut avoir sur celui qui a un jour éprouvé secrètement l'étrange besoin de parler "tout seul"? Quand bien même il ne s'agirait que d'une minorité (ce qu'on ne saura jamais tant il est difficile de confesser ce qu'on a d'avance désigné comme une régression), c'est une minorité que l'on ne se soucie guère d'aider à "vivre sa différence", comme on sait si bien le faire dans d'autres cas. Et qu'on livre pratiquement, soit à la mauvaise conscience d'une religiosité refoulée dans une société laïque qui ne veut pas entendre parler de besoin ou de désir religieux, soit au grand supermarché des religions dogmatiques, où les plus affirmatifs sont toujours en tête de rayon. Mais comment éduquerait-on au désir religieux, y compris à ses risques et à ses perversions, sans en reconnaître l'existence et la légitimité foncière?

Après avoir renoncé à être religieuse, avec le fiasco du culte de l'Etre suprême, la République a fini par s'interdire durablement toute distinction entre la religion et les religions, se condamnant au silence sur celle-là plus encore que sur celles-ci, et l'abandonnant de fait et même de droit aux spécialistes confessionnels. La ligne de partage tracée par la séparation de l'Eglise et de l'Etat a définitivement placé la religion sous la juridiction exclusive des religions. Qui croirait que dans l'édition originale (1887) du Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire de Ferdinand Buisson, grand artisan auprès de Jules Ferry de l'enseignement laïque, il y avait un article à la fois laïque et religieux sur la prière, qui a disparu des rééditions ultérieures?  

Tant que l'éducation se cramponnera au mythe implicite de l'homo saecularis, auto-suffisant sans Autre, refusant de voir que l'humanité ne tient pas dans ce moule, elle ne pourra que s'aveugler à l'existence même du problème.

 

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