Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 novembre 2011 3 30 /11 /novembre /2011 22:09

O logoV sarx egeneto, "le Verbe devint chair": la belle affaire, si sur le sujet en question, ce(lui) que prétend représenter ce nom commun curieusement traduit en français par "le Verbe", avec une majuscule, le devenir justement ne prend pas, ni l'être, ni aucun verbe d'état substantivé ou non, ni -- a fortiori et par voie de conséquence -- aucun prédicat, aucun attribut, pas même l'attribution d'un nom propre. Sauf licence métaphorique bien sûr. Mais les théologiens ne sont guère enclins à entendre qeoV einai ou sarx ginesqai ("être-dieu" ou "devenir-chair") comme ils entendent zwh ou jwV einai ("être-vie" ou "être-lumière"). Dogme en-deçà, métaphore au-delà, bien que rien ne marque dans le texte une quelconque frontière.

Pourtant une telle "façon de parler" suffirait amplement à un évangile gnostique, pour qui "l'incarnation" ne saurait être autre chose que signe, simulacre, stratagème de dévoilement de l'ineffable. Et de ce point de vue o logoV sarx egeneto ne dit effectivement rien de plus, sinon le mo(uve)ment révélateur de lui-même, que

panta di autou egeneto, kai cwriV autou egeneto oude en
o gegonen en autw zwh hn, kai h zwh hn to jwV twn anqrwpwn
kai to fwV en th skotia jainei, kai h skotia auto ou katelaben.

(tout est devenu par lui, et hors de lui rien n'est devenu
ce qui est devenu en lui était vie, et la vie était la lumière des hommes
et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas saisie.)

Certes il faut s'être livré sans reste et sans réserve au devenir pour savoir; "de science (gnwsiV) certaine" même si celle-ci ne se donne, ne se montre ou ne s'enseigne que sous l'espèce du témoignage, que le devenir ne prend pas -- qu'il ne prend pas toujours, qu'il n'a pas prise sur tout. 

Le pas de trop (quoique logiquement et historiquement inévitable) habituellement imputé au gnosticisme constituéà savoir la dévaluation de la "chair" et du "monde", occulte cette part de vérité qui relève, selon son ordre, de l'expérience.

A vrai dire ce "pas de trop" s'accomplit et s'inscrit dans la provenance d'un impensé commun à l'orthodoxie et à la gnose: ce qui pour les uns et les autres va de soi, et va sans dire, c'est la supériorité d'un terme sur l'autre: du qeoV-logoV sur le kosmoV comme du haut sur le bas, du ciel sur la terre, de l'être sur le devenir, de l'éternel sur le temporel, de l'impérissable sur le corruptible, de l'impassible sur le passible, de l'esprit sur la chair -- ne serait-ce que comme préséance du participe présent-actif sur le participe passé-passif, de l'animant sur l'animé, si im-manent (mais toujours éminent) que se conçoive l'animant. L'appréciation de l'un fait la dépréciation de l'autre. Le culte de l'un fait le mépris de l'autre. Et le renversement moderne des valeurs, en mettant l'antique hiérarchie cul par-dessus tête, n'abolit pas le principe hiérarchique s'il célèbre le cul et déprécie la tête. Ce qui vaut le plus dans l'économie d'une époque finit par être pensé comme autosuffisant, comme seul nécessaire puis comme seul bien, et ce qui vaut le moins comme superflu, inutile ou nuisible.

La distinction méta-physique ne peut-elle donc être entendue que sur ce mode, comme un jugement de valeur (dont relèverait encore une perspective égalitaire, qui en décréterait les termes équivalents), ou bien y a-t-il place pour une discrimination non hiérarchisante, qui se bornerait à prendre acte d'une différence incommensurable ? Quitte à dénier toute existence aux masques déchus de la négation, par retour de preuve ontologique (quod nihil minus cogitari potest), il faudrait encore s'émerveiller de leur insistance.

Le sujet roi, le roi sujet, dieu ou homme, est descendu de son trône. A-t-il été détrôné, a-t-il abdiqué, s'est-il laissé déposer ? Etait-il las de son assujettissement, ou de son règne ? Le voilà en tout cas vagabond, errant et inutile dans ce qui fut son royaume, surnuméraire dans la république des choses. Il n'est pas sûr qu'il rêve de restauration quand il mendie au coin des rues, invisible, l'obole improbable d'une reconnaissance.

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Narkissos
  • : un peu de rien, un peu de tout, derniers mots inutiles tracés sur le sable, face à la mer
  • Contact

Recherche

Archives

Liens