Il y a les gens que j'aime
il y en aura eu pas mal somme toute
même s'ils ne s'en doutent pas
des noms
que je murmure
que je n'écris pas
que je décrirais peut-être
portraits constellations
éphémères éternels
d'un visage
d'un sourire
d'un regard
d'une voix
d'un langage
d'un pas
d'un geste
d'un style
particuliers
ils ne se croisent jamais
qu'aux encoignures de mes rêves
et encore sans se voir
et puis il y a les gens
tout semblables à ceux-là sans doute
les mêmes aussi hélas
et cependant bien différents
puisque rien ne les différencie
ceux qui font fond
ceux qui font nombre
ceux qui font trois et plus
ceux qui comptent
ceux qui composent
non pas la foule torrent merveilleux
mais le limon tout prêt à être pris en forme
l'argile bientôt cuite en brique
matériau déjà édifiant
qui ne demande qu'à servir
jusque dans ses antagonismes
à bâtir avec et contre l'autre
la société le groupe
la masse la classe
la boîte la secte l'Eglise
le parti le cercle le clan le club
le village la ville la civilisation
la patrie l'humanité le monde
ce qui range et se laisse ranger
en catégorie en type en genre
en rôle en fonction en personnage
en grand en petit en moyen
en héros en méchant en médiocre
tout ceci
je ne le hais point
mais je le redoute
terriblement
je m'en méfie
viscéralement
je l'évite
instinctivement
et je m'éloigne
nécessairement
de chacun de chaque on à distance maximale
de tous à distance optimale
c'est-à-dire tout contre
cette frontière intérieure
ce point de fuite désespéré
dont l'au-delà
folie ou mort
ne saurait être
rien de libre là-dedans au contraire
contrainte de la physique générale
des lois de la répartition
qui m'acculent à inventer
par devers moi
au revers de la création
une sauvagerie artificielle
une barbarie artisanale
une nature de facture
réactive
passive
négative
empreinte en creux
de la norme monstrueuse
sur ce qui me reste de chair et d'âme sensibles
à céder lâchement sous la pression
vous y reconnaîtrez rassurés
votre image celle du créateur
mais devant cette réflexion
tu percevras peut-être aussi
comme l'écho d'un mystère incréé
dans cette désobéissance inouïe
à l'ordre premier de tout seigneur et maître:
dominez.