Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 mars 2014 3 19 /03 /mars /2014 21:20

La fin -- et l'absence de fin, du moment qu'on y aboutisse comme à une conclusion, logique ou arbitraire, définitive ou même provisoire -- abolit les moyens.

Une fois de plus enfonçons les portes ouvertes, puisque aussi bien nous les retrouvons toujours fermées: toute (l')économie humaine aux sens dits propre et figuré, depuis les outils ou les signes les plus rudimentaires, s'est construite comme un réseau de médiations et de médiatisations, d'une densité et d'une complexité croissantes malgré quelques simplifications accidentelles ou catastrophiques, donnant à chaque "époque" plus ou moins stabilisée l'illusion synchronique d'un "système" qui fonctionnait, en l'absence peut-être de toute fin "dernière" ou "absolue", mais dont chaque élément n'en était pas moins pré-posé et assigné à une fin qui le dépassait, et que dès lors il pouvait et devait servir. Les exceptions à ce régime utilitaire -- si dépourvu d'utilité qu'il soit lui-même, globalement -- n'y ont été possibles que dans la mesure où, sous ce régime, elles n'en étaient pas. Tout ce qui, à tel ou tel point de vue, paraît inutile et gratuit -- fête, jeu, folie, paresse, amour, violence, destruction, sacrifice, religion, art -- a dû son apparition, son existence ou sa subsistance (autrement dit son temps de viabilité économique) à une présomption d'utilité, qui pouvait aller de la croyance enthousiaste au vague scrupule (du type superstition ou principe de précaution: sait-on jamais ? cela pourrait bien, contre toute apparence, servir quand même à quelque chose) en passant par une période plus ou moins longue de consensus tacite.

Le lieu de l'angoisse est aussi celui du désir; celle-là borne, latéralement, la marche de celui-ci et lui impose un sens, une direction, une conduite: la clôture, l'enfermement, le resserrement, l'alignement, la stricture de l'une sont nécessaires au mouvement, à la pulsion pro-ductrice et re-productrice de l'autre. Contrainte, pression et attraction d'un circuit ouvert ou fermé, gigantesque concaténation ou tuyauterie socio-logique enchaînant ou entubant le bien-nommé "sujet", assujetti, asservi à des fins qui se transformeront à leur tour en moyens avant même qu'il les ait atteintes, où chacun peut ambitionner et redouter autant d'y arriver que de ne jamais y arriver.

Rien de tragique dans la grande majorité des cas, dira-t-on: là où le désir l'emporte sur l'angoisse, celle-ci apparaît simplement utile et nécessaire: saine restriction qui canalise et entretient le mouvement, la circulation, le fonctionnement.

Mais des fois l'angoisse l'emporte sur le désir et ça coince. Ça dys-fonctionne et ça fait mal. 

Ce ne fut pas la moindre astuce de l'homme envers lui-même que de baptiser liberté ou bonheur son système de contrainte.

Je n'ai écrit que pour l'enfant terrorisé que je n'ai cessé d'être.

Je n'ai écrit que parce celui-là a, un jour, cessé d(e l)'être.

Qui entendra la puissance explosive, libératrice et dé-structrice, de la toute première parole de "Jésus" dans l'évangile selon saint Marc (i, 15) ? 
Πεπλήρωται καιρὸς καὶ ἤγγικεν βασιλεία τοῦ θεοῦ : Le temps (la saison) est achevé(e), le règne de Dieu est là (littéralement s'est approché, à ce temps "parfait" qui décrit l'action accomplie, comme pour le verbe précédent) .
-- Celui-là seul qui ne veut plus que ça continue, celui-là seul qui n'en peut plus. 

Où l'on peut entendre la réminiscence d'une autre introduction célèbre, celle du Deutéro-Isaïe (chap. xl) citée d'ailleurs un peu plus haut (Marc i, 3 <- Isaïe xl, 3):

נַחֲמוּ נַחֲמוּ עַמִּי   יאמַר אֱלהֵיכֶם
דַּבְּרוּ עַל-לֵב יְרוּשָׁלַם   וְקִרְאוּ אֵלֶיהָ
--כִּי מָלְאָה צְבָאָהּ    כִּי נִרְצָה עֲו‍נָהּ
כִּי לָקְחָה מִיַּד יְהוָה כִּפְלַיִם    בְּכָל-חַטּאתֶיהָ

Consolez, consolez mon peuple -- dit votre dieu --
parlez au cœur
(formule de la persuasion et de la séduction, notamment érotiques) de Jérusalem, et annoncez-lui
que son temps
(littéralement son armée, d'où temps de service, de conscription, d'enrôlement ou d'embrigadement militaire ou d'asservissement et de travail forcé en captivité; son humiliation, traduit le grec) est achevé, que sa faute est expiée,
car elle a reçu de la main de Yahvé le double (de ce qu'elle méritait) pour tous ses péchés.

Evidemment, la poursuite inlassable de l'histoire dont témoignent aussi les réitérations scripturales de la fin contredit péniblement la teneur du message. La contra-diction n'est-elle pas, en plus d'un sens, la condition même de l'écriture ? Cela même s'entendra différemment, selon que l'emporte l'angoisse ou le désir, de la suite ou de la fin.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Narkissos
  • : un peu de rien, un peu de tout, derniers mots inutiles tracés sur le sable, face à la mer
  • Contact

Recherche

Archives

Liens