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19 septembre 2013 4 19 /09 /septembre /2013 17:47

Dans toute solitude, on est encore un de trop -- et, par malheur, de tous et de très loin le plus fâcheux.

Dieu ne serait pas mort qu'on le lui souhaiterait de bon cœur -- et rétroactivement, de toute éternité -- à tout le moins aussi longtemps qu'on se le représente de façon égomorphique (ce qui nous est sans doute inévitable mais à quoi, il faut le dire, il ne s'est que trop prêté: Je suis [celui qui suis], on ne peut guère imaginer pronom sujet plus importun).

Consolation: faute de mieux, nous nous fuyons l'un en l'autre. C'en serait presque une raison d'exister, et désintéressée avec ça (d'une pierre deux coups): offrir à "Dieu" (ou à n'importe qui) la possibilité de s'évader, ou de se distraire, provisoirement, de lui-même. 

On dira que la trinité "ontologique" jouait précisément ce rôle (un peu moins bien tout de même que la société des dieux dans le polythéisme). Elle portait déjà, hélas ! la malédiction du nombre infernal -- celui du huis-clos sartrien.

On ne pardonne pas aux autres l'audace qu'ils ont de venir, avec les meilleures intentions, nous convoquer à l'existence. De nous obliger à leur répondre, à recomposer face à eux un semblant d'identité, l'unicité et la cohérence d'une persona, quand ce n'est pas des "opinions", des "activités" ou des "projets". Qu'est-ce que tu deviens ? Y a-t-il question plus impudente

Le comble, c'est que même lorsqu'ils nous laissent enfin tranquille, qu'ils nous font la grâce de nous oublier, le je(u) réactif, fantasme et fantôme de nos terreurs sociales, poursuive tout seul son manège sur la scène "intérieure", nous rendant le plus souvent aveugles et sourds à ce qui nous entoure et à ce que nous sommes.

Ce n'est pas le verbe (le logoV) qui est alors le plus gênant, mais le pronom qui, dès lors sans aucune raison (sociale), le réduit à l'idiotie du monologue.

Je (!) rêvais ce matin d'un ordre cénobitique pour le moyen-âge (ou la période intermédiaire, au sens où l'entendent les égyptologues) à venir: où les "individus" fatigués de leur "moi" viendraient s'en délester. L'usage des noms propres et de la première et de la deuxième personne du singulier, au moins, y seraient rigoureusement interdits. Quand on en aurait assez, on serait libre d'en partir pour reprendre ou poursuivre ailleurs son aventure personnelle

Les pensées, les réflexions les plus "profondes" et les plus "originales", partent du lieu commun -- et y reviennent. C'est seulement entre-deux qu'on peut se figurer avoir quelque chose à dire ou à entendre, à enseigner ou à apprendre. Les tics de langage de ma mère (p. ex. "il faut dire ce qui est") m'auront donné à penser toute ma vie, en même temps me fournissant une matière inépuisable et m'assignant un horizon indépassable.

C'est la langue -- chaque langue -- qui parle. Et elle a toujours déjà tout dit, tout ce qu'elle avait à dire. Si le sujet s'épuise à parler (c'est le bon côté de la chose: heureusement, il s'y épuise) c'est à seule fin de finir par l'entendre, elle, quand il se tait. A la fin.

Après avoir assumé, pris sur moi ou à mon compte, en brave petit chameau nietzschéen, le "ça" freudien, le "on" heideggerien, et tout ce qu'on voudra, je n'aspire qu'à leur rendre la parole. Qu'ils continuent sans moi. C'est mieux pour tout le monde.

(Ce pourrait être du Cioran, ou -- pour partie -- du La Rochefoucauld ou du Chamfort, mais à ma connaissance ce n'en est pas -- sous cette forme exacte du moins, car quant au fond c'est vieux comme le monde, même si ça vient de sortir. Mon père disait, à propos de quelqu'un de pénible: "pense que, lui, il se supporte tous les jours."

De Cioran, par contre, dans Ecartèlement, cet aphorisme lu hier: "Exister est un plagiat.") 

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