Ce n'est pas le Dieu des philosophes, ni celui des théologiens, qui répondrait à l'expérience -- celle dont je parle, dont tous parlent peut-être sans pouvoir en parler, que nous entendons appeler à son secours au moins un adjectif ou un complément, mais aucun ne lui va ou ne lui convient: fondamentale, mais elle ne fonde rien, abyssale plutôt mais elle n'abîme rien non plus; moins et plus que philosophique et religieuse, quand toute religion et toute philosophie en dépendraient; décisive sans décider de rien, inaugurale aussi souvent qu'elle se répète, la seule d'ailleurs à se répéter, inlassablement, là même où rien ne se répète jamais, d'une histoire à l'autre et dans chaque histoire, finissant précisément où elle commence: une déchirure de l'être, peut-être, mais qui ne laisserait aucune trace parmi les traces, pas même celle d'une cicatrice ou d'une couture, qui n'entamerait pas d'une fêlure la continuité générale: l'étonnement immémorial et toujours présent quand il arrive, qu'il y ait, pas même quelque chose plutôt que rien ni ceci plutôt que cela, mais précisément ce qu'il y a, ce qui arrive de toute sa provenance inextricable et intraçable. Si un nom, un visage ou une image se présentent là comme d'un dieu, ce n'est assurément pas d'un dieu raisonnable, ni raisonné ni médiatisé par quelques logos ou ratio, mais la fureur d'un arbitraire, sauvage jusqu'en son repos, le seul à la hauteur ou à la bassesse du hasard.