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27 août 2016 6 27 /08 /août /2016 11:41

La grotesque séquence burkini, où l'on vit la bêtise officielle et policière s'étaler en plus d'un sens et dans un contraste saisissant avec l'appellation humoristique de son objet balnéaire, aura eu le mérite d'illustrer plaisamment quelques travers structurels de la démocratie et de la démagogie qui en est l'ombre constante, tels qu'ils se présentent peut-être un peu plus follement, ou avec moins de garde-fous traditionnels, en France qu'ailleurs.

On y redécouvre enfin, avec un étonnement qui n'est pas le moins étonnant de l'affaire, que le droit n'est pas démocratique, même et surtout en démocratie. Que seul un droit anti-démocratique à l'occasion peut empêcher une démocratie d'aboutir, au gré des circonstances et de leur exploitation, à l'oppression sans borne d'une minorité, ou a fortiori d'un individu, par une majorité qui a une fâcheuse tendance à virer à la bande de cons, sinon à la meute. Les prophètes de l'islamisation de la France, de l'Europe ou de l'Occident auraient d'ailleurs tout lieu de s'en féliciter, car seul ce genre de droit garantirait leurs "libertés" sous le régime de leurs fantasmes.

Dans le droit bien sûr c'est précisément l'écriture et sa différance, le retard et la rémanence dues à sa différence de consistance -- sa relative fermeté, sa proverbiale dureté, sa sclérose à la limite, bref ce qui demeure en elle de la pierre des tables divines ou du marbre idéal -- qui résistent à l'arbitraire instantané de la tyrannie, paradoxalement esclave des caprices de la liberté de son verbe -- fût-ce la tyrannie d'une majorité qui s'exprime comme elle se manipule, "en temps réel", sous forme de sondage et de referendum. Plus et plus souvent on légifère, en démocratie représentative et différée ou a fortiori directe et immédiate, plus se réduisent la con(si)stance, la résistance et finalement l'existence (l'ek-sistence, l'altérité) de la loi écrite; comme si l'idéal moderne en la matière était de la rendre aussi fluide ou volatile que la parole politique ou médiatique, toute différence se noyant dans la liquidité de l'instant. Les "durs" qui crânent devant la loi, se faisant forts de la braver ou de la changer, contribuent ainsi à leur insu à la liquéfaction générale qui atteint et emporte lentement mais sûrement toutes les structures, y compris celles des institutions et des partis dont dépend leur pouvoir actuel ou potentiel.

Un aspect intéressant de l'argumentaire de M. Valls analysait brillamment le vestimentaire comme acte politique -- pour la génération au pouvoir, surtout de "gauche", élevée au grain du "tout-politique", ça ne peut évidemment pas être tout à fait faux, mais la répression n'en est que plus blâmable au regard de ses propres critères: car la critique radicale de la "modernité occidentale" faisait partie intégrante du programme de l'acte politique. Du reste, dans cette répression qui cible exclusivement des femmes, il est difficile de prétendre à la fois "libérer des victimes" et "réprimer des militantes". On peut certes affirmer qu'elles sont et victimes et militantes, mais à la condition de se placer d'emblée au-dessus de leur parole, et de la tenir d'avance pour nulle et non avenue. Question démocratie, on a vu mieux.

Est-il besoin d'ajouter que le désir de religion, et de religion rituelle, si déconcertant qu'il soit pour une société post-chrétienne et post-idéologique, ne se confond avec le terrorisme que dans l'esprit de ceux qui estiment de part et d'autre, et très probablement à tort, avoir intérêt à les confondre ?

P.S.: On objectera, avec raison du point de vue de l'histoire, que l'usage de la coiffe féminine sous toutes ses formes n'est pas l'invention d'une religion particulière et n'a qu'un rapport très indirect à la religion en général: c'est un code de décence extrêmement répandu depuis la Haute-Antiquité, et encore commun à de nombreuses sociétés traditionnelles, qu'elles soient de "religion monothéiste" (juive, chrétienne, musulmane) ou non (africaines ou indiennes p. ex.). C'est, bien sûr, dans les sociétés occidentales modernes où ce code n'existe plus, bien qu'il fasse le plus souvent partie de leur histoire, qu'il devient objectivement un "marqueur" d'appartenance à une "communauté", mais toujours ambigu. Quant au sens qui lui est subjectivement donné le cas échéant en tant que signe, il varie davantage encore selon l'âge et l'histoire de l'intéressée. Ce qui pour une jeune Occidentale convertie de fraîche date à l'islam peut effectivement être un acte "militant", religieux à coup sûr et éventuellement politique, pour une jeune fille issue d'une famille musulmane la marque d'une "appartenance" ou d'une "identité" assumée, ou bien d'une "soumission" subie ou consentie, sera une simple habitude, dénuée de tout "sens" religieux et a fortiori politique, pour une personne plus âgée ou récemment arrivée d'une société traditionnelle. Imposer artificiellement un sens univoque à un signe équivoque, c'est le programme commun, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, des "extrémismes" islamiques et islamophobes. Qui, en jetant le voile sur la polysémie du voile, occultent aussi commodément l'extrême diversité de leurs motivations respectives (du côté islamophobe, de la xénophobie à l'intégrisme catholique en passant par le féminisme et le laïcisme doctrinaires).

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